Les inédits d’un génie

Jorge Bolet au sommet de son art, capté idéalement sur de très beaux pianos par des ingénieurs du son saisissant toutes ses couleurs et son grand jeu polyphonique. Quel plaisir tout au long de ce troisième volume qui clôt la publication de ses enregistrements pour la Radio de Berlin.

On y gagne un Deuxième Livre des Images et Masques où les sortilèges de ses timbres rappellent quel debussyste de premier ordre il fut, ajout majeur à une discographie officielle qui n’aura saisi qu’une sélection des deux Livres de Préludes. Et quantité d’opus de Chopin, magiques, d’un cantabile fou, d’un legato de chanteur qui transforment les Etudes Op. 25 en poésie et donne aux grandes Polonaises une éloquence sans dureté, emportées par ce toucher fabuleux qui sculpte le clavier, délivrant une lecture absolument classique de la Troisième Sonate de Schumann.

C’est le vrai visage d’un musicien pour les musiciens dont la vélocité sans effet aura faussé l’image : écoutez seulement la Ballade de Grieg, la Troisième Sonate de Schumann jouée droite, quasi drastique par son dédain du pathos, tout comme une lecture du Prélude Aria et Final où l’on entend l’orgue du Père Franck dans les registrations saisissantes qu’y déploie Bolet. Surprise !, la 2e Sonate de Norman Dello Joio rappelle qu’il fut comme Sydney Foster un proche du compositeur.

Alors, Jorge Bolet virtuose d’un temps passé, pianiste romantique, une légende ? Il faut entendre avec quel brio il démêle la paraphrase insensée des Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Johann StraussLeopold Godowsky emberlificote à plaisir les thèmes et les rythmes, souvenir de ses années passées chez Saperton, et entendre à quel point il en « modernise » le discours.

Mais la révélation majeure de cet éventail de trois disques merveilleux reste l’Empereur capté lors d’un déplacement du Radio-Symphonie-Orchester Berlin le 3 décembre 1974 à Paris : Bolet donne un caractère bien particulier à chaque mouvement, son piano éclabousse de lumière une partition dont il renouvelle totalement l’approche sous la baguette attentive de Moshe Atzmon. L’éblouissant Finale me laisse sans voix, espérant que d’autres archives révéleront ses Beethoven. Décidément, Jorge Bolet n’est jamais où on l’attend.

LE DISQUE DU JOUR

Jorge Bolet
Berlin Radio Recordings,
Vol. 3

Frédéric Chopin (1810-1849)
12 Etudes, Op. 25
Fantaisie-impromptu en ut dièse mineur, Op. 66
Andante spianato et Grande Polonaise en mi bémol majeur, Op. 22
2 Polonaises en la majeur, Op. 40
Polonaise en la bémol majeur, Op. 53 « Héroïque »
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano et orchestre No. 5 en mi bémol majeur, Op. 73 « Empereur »
Robert Schumann (1810-1856)
Sonate pour piano No. 3 en fa mineur, Op. 14
Edvard Grieg (1843-1907)
Ballade en sol mineur, Op. 24
César Franck (1822-1890)
Prélude, Aria et Final, FWV 23
Claude Debussy (1862-1918)
Images pour piano, Livre II, L. 120
Masques, L. 110
Norman Dello Joio (1913-2008)
Sonate pour piano No. 2
Franz Liszt (1811-1886)
Frühlingsnacht, S. 568 (d’après le No. 12 du « Liederkreis, Op. 39 » de Schumann)
Leopold Godowsky (1870-1938)
Symphonische Metamorphosen Johann Strauss’scher Themen

Jorge Bolet, piano
Radio-Symphonie-Orchester Berlin
Moshe Atzmon, direction

Un coffret de 3 CD du label Audite 21459
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Photo à la une : le pianiste Jorge Bolet – Photo : © DR