L’Europe révélée

Le disque nous avait donné Tancrède (trois fois !), Idomeneo, Le Carnaval de Venise, mais jusque-là avait délaissé – par crainte ?, par ignorance ? – le chef-d’œuvre lyrique de Campra, cette Europe galante dans laquelle Rameau voyait se lever un nouvel art lyrique notant : « Ce sont de jolis Watteau, des miniatures piquantes, qui exigent toute la précision du dessin, les grâces du pinceau et tout le brillant du coloris », ajoutant que L’Europe galante était le premier ouvrage à tourner le dos aux opéras de Quinault. Rameau s’engouffra dans ces nouvelles libertés en y ajoutant le sens dramatique qui manquait peut-être à Campra.

C’est peu d’écrire que Sébastien d’Hérin et sa vaillante troupe suppléent à cela, convoquant dès le Prologue un théâtre ardent et virtuose, donnant à La France un aplomb formidable et des subtilités où en effet, Rameau trempera sa plume, à son Espagne une nuit mystérieuse et des danses pleines de taconeo, à son Italie les courbes nostalgique de Corelli et la fantaisie du carnaval vénitien tout à la fois, à La Turquie une sensualité sombre, des couleurs de sérail, et quelle ardeur dans le grand divertissement des BostangisCampra se souvient de la cérémonie turque du Bourgeois gentilhomme de Molière et Charpentier.

Il faut pour réussir le Prologue et les quatre Entrées de L’Europe galante une imagination débridée qui doit se marier avec toute l’abondance de timbres, d’accents, d’ornements qu’exige une exécution historiquement informée, aussi bien pour le chant que pour l’orchestre.

C’est en soi un travail considérable mais Sébastien d’Hérin, Christophe Robert et leur troupe enthousiaste sont allés plus loin encore : il ne nous proposent pas une restitution, ils nous font L’Europe galante vivante comme au jour de sa naissance devant une Académie Royale de Musique circonspecte.

Pour nous qui avons l’avantage du recul historique, cette recréation éclaire brillamment le tournant qu’aura pris l’opéra de l’Ancien Régime bien plus tôt qu’on ne l’aurait cru : le 27 octobre 1697, Campra aura opéré une révolution décisive dont on peut enfin prendre conscience. Bravo à une équipe de chant relevée qui, véritablement, excelle dans les multiples caractérisations des diverses entrées.

LE DISQUE DU JOUR

André Campra (1660-1744)
L’Europe galante, opéra-ballet en quatre entrées et un prologue (1697)

Caroline Mutel, soprano (Vénus, Une Espagnole, Olimpia, Roxane)
Isabelle Druet, mezzo-soprano (La Discorde, Doris, Une femme du Bal, Zaïde)
Heather Newhouse, soprano (Une Grâce, Céphise, Une autre Espagnole, Une autre femme du Bal)
Anders J.Dahlin, ténor (Philène, Dom Pedro, Octavio)
Nicolas Courjal, basse (Silvandre, Dom Carlos, Zuliman)
Jérémie Delvert, basse (Le Bostangis)

Les Nouveaux Caractères
Sébastien d’Hérin, direction

Un album de 2 CD du label Château de Versailles VCS002
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Photo à la une : © DR