Grand piano

Rien n’est plus difficile dans le piano de Claude Debussy pour la fantaisie et surtout pour l’esprit sinon pour les doigts, que la Suite bergamasque : les grands debussystes y ont toujours fait rayonner leur art, la jouant en plein air jusque dans le fameux Clair de lune : écoutez seulement les versions de Walter Gieseking !

Nikolai Lugansky la place au centre d’un magnifique parcours. S’y alternent des pièces de fantaisie – Arabesques, La plus que lente, l’Hommage à Haydn – avec quelques chefs-d’œuvre fauvistes, L’Isle joyeuse, chargée d’embruns, magnifiquement venteuse, c’est le souffle d’Eole qui y exhale un rire enchanté, et une deuxième Série d’Images anthologique.

Mais revenons à la Suite bergamasque. Debussy y montre sa carte du Tendre, les pianistes l’étiolent en joliesses, la jouent sous l’abat-jour, alors qu’elle veut absolument des paysages noyés de soleil, une atmosphère d’Italie. Lugansky l’empoigne : écoutez comme il déclame le Prélude, comme il fait danser les contre-rythmes du Menuet en sculptant les ornements, quel caractère dans le mouvement et quel chant dans la second partie ! Sans affadissement, très dit, son Clair de lune provoque l’émotion à force de pudeur, et vite il envole un Passepied incroyable, dont la clarté des apartés sur une main gauche si formée a quelque chose de Chabrier. Comme les Pièces pittoresques lui iraient bien !

Des Estampes, il ne garde que Jardins sous la pluie : un arc-en-ciel dans le soleil, irrésistible.

Sa 2e Série d’Images absolument descriptive prend le clavier de Debussy au pied de la lettre : son carillon droit, son écho dans la lumière des cordes, son mystère solaire font entendre l’étagement des harmonies, l’ampleur des plans sonores où se diffractent des irisations qui veulent un espace pour paraître : il y a de l’air dans ce piano comme dans les toiles de Monet, c’est lui qui creuse l’horizon. Le temple peut faire résonner son gamelan dans la nuit, les carpes agiles dorer les eaux, ce Debussy naturaliste ne se rencontrait plus depuis Richter.

Pour clore cet album parfait, la valse lente de l’Hommage à Haydn déploie et referme son éventail de notes altérées, capricieuse danse immobile dont le clavier de Luganski déploie les humeurs appassionato, sculpte la tension centrale avant de revenir au ternaire qui s’échappe dans un rai de soleil. Magique. Et si le Russe avait trouvé la clef du piano français ?

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy (1862-1918)
L’Isle joyeuse, L. 109
2 Arabesques, L. 74
Suite bergamasque, L. 82
La plus que lente, L. 128
Jardins sous la pluie (No. 3 from « Estampes, L. 108 »)
Images, Livre II, L. 120
Hommage à Haydn, L. 123

Nikolai Luganski, piano

Un album du label harmonia mundi HMM902309
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Photo à la une : le pianiste russe Nikolai Luganski – Photo : © Jean-Baptiste Millot