Sergei Rachmaninov et le Nouveau Monde

Ce sera son dernier opus, trois Danses symphoniques écrites pour Eugene Ormandy et ses Philadelphiens. Le 20 décembre 1940, probablement au domicile d’Eugene Ormandy qui laissa discrètement tourner un magnétophone, Rachmaninov se met au piano, jouant et commentant l’œuvre douze jours avant sa création.

Il commente à vrai dire peu, mais tout l’esprit de l’œuvre est dans son jeu d’une infinie variété, document fascinant et qui ne peut s’ignorer tant chaque note de Rachmaninov pianiste est essentielle. Le document est présenté sous deux formes, tel qu’il fut enregistré avec les commentaires ou expurgé de la plupart des commentaires et les extraits joués remis dans l’ordre chronologique de la partition (choisir plutôt la seconde option en première écoute, qui ouvre le premier CD).

Autour de cette exhumation inespérée, Ward Marston et ses amis ont assemblé des enregistrements en concert d’artistes proches de Rachmaninov durant son exil américain. Fascinantes les Danses Symphoniques selon Mitropoulos (que le compositeur avait guidé dans les méandres de la partition, sachant qu’il devait en assurer la création new-yorkaise, éclairant cette notation Non Allegro qui laisse tant de chefs dubitatifs) mais plus encore une Troisième Symphonie foudroyante, simplement géniale par le geste impérieux, la fièvre, l’ardeur.

On retrouve Eugene Ormandy pour une Ile des morts qui est de fait le tombeau de son auteur lors du concert donné le 2 avril 1943, cinq jours après le décès de Rachmaninov : impossible de ne pas vous laisser submerger par l’émotion. De magnifiques Trois Chants Russes savourées par Stokowski, des Variations Paganini comme autant de tours de passe-passe selon Benno Moiseiwitsch et Sir Adrian Boult s’y ajoutent, incontournables, inoubliables dès qu’on les entend.

Mais il y a plus, Rachmaninov lui-même à nouveau au piano pour des bribes des Deuxièmes Ballades de Brahms et de Liszt, la Polka Italienne avec Natalia, fabuleuse !, et lors d’une soirée avec amis, Bublichki chanté avec ivresse (attention, les plages entre ces deux morceaux sont inversées sur le disque par rapport à ce qu’indique le livret).

Mais comment ne pas revenir sans cesse à un document plus connu mais jamais aussi bien publié qu’ici : la chanson populaire russe (Belitisi rumyanitsi, vi moi) où il accompagne Nadezhda Plevitskaya le 22 février 1926. La grande mezzo-soprano russe qui deviendra l’agent du Guépéou, infiltrée parmi les émigrés russes avant de finir sa vie le 1er octobre 1940 à la prison de femmes de Rennes condamnée pour avoir participé à l’enlèvement du Général Miller, était encore alors tout à son art, et elle simplement géniale.

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Rachmaninoff plays Symphonic Dances
Newly Discovered 1940 Recording

Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Danses symphoniques, Op. 45 (version piano, enr. 21 décembre 1940, 2 versions éditées)
Sergei Rachmaninoff, piano

Danses symphoniques, Op. 45
New York Philharmonic-Symphony OrchestraDimitri Mitropoulos, direction
Enregistré à New York, le 20 décembre 1942

L’Isle des morts, Op. 29
Philadelphia OrchestraEugene Ormandy, direction
Enregistré le 2 avril 1943 à Philadelphie

Symphonie No. 3 en la mineur, Op. 44
New York Philharmonic-Symphony OrchestraDimitri Mitropoulos, direction
Enregistré à New York, le 21 décembre 1941

Belilitsï rumyanitsï, vy moi
Nadezhda Plevitskaya, mezzo-soprano – Sergei Rachmaninoff, piano
Enregistré à New York, le 22 février 1926

3 Chants russses pour choeur et orchestre, Op. 41
American Symphony OrchestraSchola CantorumLeopold Stokowski, direction
Enregistré à New York, le 18 décembre 1966

Rhapsodie sur un thème de Paganini, Op. 43
Benno MoiseiwitschBBC Symphony OrchestraSir Adrian Boult, direction
Enregistré à Londres, le 14 septembre 1946

Polka italienne
Sergei et Natalia Rachmaninoff, piano
Enregistré ca. 1942

Un coffret de 3 CD du label Marston 53022-2
Acheter l’album sur le site du label www.marstonrecords.com

Photo à la une : © DR