Une pionnière

Alors qu’Antal Doráti s’occupait à enregistrer toutes les symphonies et une anthologie développée des opéras de Haydn, son épouse à la ville revisitait l’intégrale des Sonates et des Concertos. Entreprise majeure et pourtant restée quasi inconnue : si Vox édita à plusieurs reprises les Concertos avec Bamberg et Doráti, seul un premier volume de trois microsillons signala cette somme que je croyais demeurée inachevée.

La pianiste Ilse von Alpenheim avec son époux, le chef d’orchestre Antal Doráti – Photo : © DR

Mais non, entre 1977 et 1979, Ilse von Alpenheim mit patiemment en boite les soixante-deux Sonates. Lectures intenses et pourtant radieuses, d’un style splendide qui pourra paraître un rien hautain pour qui aura les foucades de Gould en tête pour les ultimes opus, mais dit tout d’un corpus qui balance entre Mozart et Beethoven, lieu où se cristallise un classicisme que vient troubler autant l’écho du romantisme que les humeurs délicieuses de Haydn qui expérimente sur son clavier tous les registres de sa fantaisie.

Le style de ce piano est admirable, toucher d’une beauté envoûtante, phrasés longs qui font chanter les Adagios et les Largos, rythmes subtils qui emportent les Allegros, mais c’est surtout une certaine capacité au rêve comme à la fantaisie qui se fait jour dans ce claver si bien éduqué, aux sonorités scrupuleusement dosées – dessin et peinture tout à la fois.

La pianiste Ilse von Alpenheim, jeune – Photo : ©Courtesy of the Antal Dorati Society

Si bien qu’au final, c’est probablement la plus parfaite intégrale des Sonates de Haydn que le disque propose, faisant entendre sans ostentation l’évolution du langage de l’auteur, intégrale qui me semble dominer la discographie pas si abondante que cela de ce vaste corpus.

Ilse von Alpenheim va bien plus loin dans l’expressivité des textes que ne le fit Artur Balsam, embarrassé par un piano modeste ; elle évite le syndrome beethovénien dont était affligé Rudolf Buchbinder et se démarque du jeu disparate et plein d’interrogation du pourtant très excitant John McCabe.

Même si comparaison n’est pas raison, Ilse von Alpenheim, représentante de la grande tradition du piano viennois, fait ici pour Haydn ce que Lili Kraus fit pour Mozart : mettre dans le style le plus parfait l’esprit-même du compositeur. Quelle tristesse qu’elle n’ait pas gravée les Sonates de Mozart !

LE DISQUE DU JOUR

Franz Joseph Haydn
(1732-1809)
Les Sonates pour piano (Intégrale)

Ilse von Alpenheim, piano

3 coffrets de 3 CD de la Dorati Society
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Photo à la une : La pianiste Ilse von Alpenheim – Photo : © Bill Newman/Courtesy of Ilse von Alpenheim