Labyrinthe

« Le rôle d’un professeur, c’est de réconcilier les élèves avec leur solitude ». Placé en exergue du nouveau disque de Jean Rondeau, je cherche encore l’écho que cet aveu de Gilles Deleuze devrait susciter à l’écoute des quinze sonates que le jeune homme a rassemblées ici, lui qui entend disparaître derrière une fausse lettre de Scarlatti dont il est certainement l’auteur. Et est-ce lui enfant en patin à roulettes sur la photo de couverture ? Mais non, mais cela pourraît, à moins que, finalement…

La solitude, l’isolement doré de Scarlatti à l’Escorial, l’artiste qui prend des masques pour mieux disparaître et s’affirmer tout à la fois, Deleuze vantant la connaissance comme un révélateur de la solitude, le jeu de pistes s’éclaire à l’écoute du disque.

Jean Rondeau va de sonates très virtuoses qu’il joue avec une impertinence de tête à claques à des sonates de presque-rien où Scarlatti ose toutes les audaces harmoniques. Il les réussit toutes avec quelque chose d’impeccable mais aussi de glaçant qui m’interroge. Il ne faut pas écouter Landowska après lui, ses fantômes et ses danses étaient autrement immédiats.

Non, pour Jean Rondeau, Scarlatti, c’est lui, ou au moins son contemporain, il vous le joue d’aujourd’hui sans renoncer à tout ce que son jeu aura récolté dans la fréquentation des interprétations historiquement informées, son disque me fait irrésistiblement penser à l’album où Huguette Dreyfus jouait les Mikrokosmos de Bartók sur son clavecin, faisant sienne l’idée d’Alain Louvier.

Quel étrange album, qu’on peut aussi prendre dans son solaire et splendide premier degré, car jouer Scarlatti comme cela, n’en faire qu’une bouchée, vous jeter à l’autre bout de la pièce … d’étonnement, vous faire fondre de ravissement par un ornement comme cet oiseau qui trille au sommet d’une des envolées de la Sonate en ré mineur, vous torturer les nerfs à force de jouer avec les effets de fandango de la Sonate en la mineur, vous arrêter au bord du précipice comme dans la Sonate Kk. 213, c’est tout faire pour vous perdre dans un labyrinthe dont vous ne voudrez plus sortir.

Hélas à un moment, plage neuf, l’artiste vous montre la porte « Exit », vous l’entendrez. Cet entracte est un non-sens, et brise par un artifice grossier l’implacable étau de musique auquel vous veniez pourtant de consentir. Ce serait bien qu’une prochaine édition s’en passe, mais vous n’aurez qu’à faire saute-mouton, je vous aurais prévenu.

LE DISQUE DU JOUR

Domenico Scarlatti
(1685-1757)

Sonates pour clavecin, Kk. 6, 30, 69, 119, 132, 141, 162, 180, 199, 208, 213, 216, 175, 460, 481

Jean Rondeau, clavecin

Un album du label Erato 0190295633684
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Photo à la une : Le claveciniste Jean Rondeau – Photo : © DR