Réhabilitation

Si Jascha Spivakovsky n’avait pas gravé quelques faces de 78 tours avec son violoniste de frère Tossy au début de l’ère électrique, le disque n’aurait rien conservé de son art, et c’est si peu ! Assez tout de même pour qu’on l’oublie corps et âme.

Jascha Spivakovsky, enfant, en Russie – Photo : © DR

Quelle ironie pour un des plus grands pianistes russes du XXe siècle ! Son existence ballotée par les avanies de l’Histoire explique en partie qu’on redécouvre son art seulement aujourd’hui. Enfant, il aura échappé de justesse à un pogrom perpétré par les Gardes Impériaux à Odessa.

Réfugié à Berlin, fêté un temps comme l’héritier d’Anton Rubinstein, lié d’amitié avec Paderewski et Teresa Careno, il connaîtra les geôles allemandes : du malheur d’être citoyen russe résidant à Berlin durant la Première Guerre mondiale.

Durant l’Entre-deux guerres, il donne une retentissante intégrale de l’œuvre de piano de Brahms que personne jusque-là n’avait osée. Richard Strauss l’admire, Jascha Spivakovsky sera un interprète fabuleux de sa Burleske, et c’est Strauss, toujours bien informé et bienveillant qui en 1933 l’avertira du péril que les nazis lui font courir.

Spivakovsky s’exilera en Australie. Après la guerre, il reprendra une carrière internationale florissante quatorze années durant, essentiellement en Australie, aux Etats-Unis et à Londres. Mais le disque ne vint pas, absence inexplicable qui, rétrospectivement, parait scandaleuse, avant qu’en 2015, Pristine Audio ne commence à divulguer des enregistrements radiophoniques, studio ou concert.

Quelle stupeur : la plénitude de la sonorité, le jeu de main gauche incendiaire, la clarté et la hauteur des conceptions, l’absence de pathos, cette façon de jouer classique mais vif, ce sens du sostenuto chez Beethoven ou chez Mozart, qu’il interprète avec une intensité spirituelle à l’égal de Kempff, Backhaus ou Arrau, ces fulgurances d’accents, cette fantaisie dans les phrasés qui pourtant jamais ne défait la forme !

Je me trouve ici confronté à l’un des plus grands pianistes, dont je n’ai jamais croisé l’héritage sonore, au même degré que lorsque, adolescent, je découvris Vladimir Sofronitzky, Maria Yudina et Maria Grinberg.

Jascha Spivakovsky est de cette veine là, de cette Russie intemporelle qui se réalise pleinement dans le grand répertoire ; écoutez sa Troisième Sonate ou son Carnaval de Schumann, chez Beethoven sa Waldstein, ses Adieux, ses Opus 110 et 111, ses Chopin de haute école, tenus, vifs, et son Mozart si allant, si sonore, si altier.

L’édition comprends à ce jour six volumes, je ne vous les détaille pas ici, mais vous les trouverez sur le site de l’éditeur, seul biais pour les acquérir, je vous indique simplement deux volumes par lesquels commencer impérativement, mais tous sont essentiels. J’ai cru comprendre que Pristine Classical continuera d’augmenter cette série mirifique.

Heureusement les archives parlent !, elles rendent aujourd’hui hommage à un artiste considérable.

LE DISQUE DU JOUR

The Art of Jascha Spivakovsky, Vol. III

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 8 en ut mineur, Op. 13 “Pathétique”
Sonate pour piano No. 14 en ut dièse mineur, Op. 27 No. 2 “Clair de lune”
Sonate pour piano No. 26 en mi bémol majeur, Op. 81a “Les Adieux”
Sonate pour piano No. 32 en ut mineur, Op. 111

Jascha Spivakovsky, piano

Un album du label Pristine Classical PAKM070
Acheter l’album sur le site du label Pristine Classical

The Art of Jascha Spivakovsky, Vol. VI

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto Italien en fa majeur, BWV 971
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour piano No. 5 en sol majeur, K. 283
Franz Schubert (1797-1827)
Impromptu en mi bémol majeur, D. 899/2
Frédéric Chopin (1810-1849)
Nocturne en fa dièse majeur, Op. 15 No. 2
Valse en mi mineur, B. 56
Franz Liszt (1811-1886)
Rhapsodie hongroise No. 15 en la mineur, S. 244/15
Robert Schumann (1810-1856)
Sonate pour piano No. 3 en fa mineur, Op. 14

Jascha Spivakovsky, piano

Un album du label Pristine Classical PAKM075
Acheter l’album sur le site du label Pristine Classical

Voir tous les volumes de l’édition Spivakovsky ici :
Volume 1
Volume 2
Volume 4
Volume 5
Volume 7

Photo à la une : © DR