Une vie pour Beethoven

Wilhelm Backhaus, à l’exception de la Hammerklavier qu’il ne ré-enregistra pas, engrangea par deux fois l’intégrale des Sonates de Beethoven pour Decca, alors même que le studio bridait son art, du moins après la guerre.

Avec la gravure directe sur 78 tours, il en allait tout autrement. Les ingénieurs du son et les directeurs artistiques, lorsqu’il y en avait !, n’étaient pas encore parvenus à ce degré d’intransigeance que les progrès de la technique autoriseraient. L’artiste jouait, il fallait le saisir sur le vif comme un peintre peignant sa toile sur le motif.

Dans les années trente, Wilhelm Backhaus qui défrayait la chronique par son jeu objectif, put graver à Londres pour His Master’s Voice quatre sonates (la Pathétique fut enregistrée dès 1927) qui documentèrent sa manière singulière : jeu clair où tout s’entend, tempos très libres qui pourtant ne distordent jamais les phrasés, une électricité fabuleuse qui envole le clavier – écoutez le Finale des Adieux – et dans la pureté des traits, une variété de couleurs assez inouïe.

Objectif vraiment ? J’ai le sentiment d’entendre dans ces 78 tours admirablement repiqués les foucades, les embardés, l’ardeur de tous les Beethoven – mêmes tardifs ! – de Backhaus dès qu’il était au concert, infiniment plus libre qu’en tout ce qu’il nous aura laissé au microsillon.

Sommet de l’ensemble : un Opus 111 déclamé, d’une puissance magnifique, avec ces aigus ailés incomparables. Quel art !, qui exhausse le texte vers son absolu.

Les deux concertos avec Landon Ronald, sculptés, ne se sont jamais démodés, 4e exalté, Empereur d’un admirable classicisme ; en les entendant, on comprend pourquoi le public londonien chérissait tant le jeune Backhaus : depuis Schnabel, il n’avait pas entendu un beethovénien d’une si grande venue.

Trois pages de Bach, placées en faces utimes des Sonates font regretter qu’il n’ait pas plus enregistré du compositeur : écoutez seulement la nacre du Prélude et Fugue No. 1 du Clavier bien tempéré. Notes éclairantes de Jed Distler.

LE DISQUE DU JOUR

Wilhelm Backhaus
The Complete Pre-War Beethoven Recordings

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano No. 4
en sol majeur, Op. 58

Concerto pour piano No. 5
en mi bémol majeur, Op. 73 “Empereur »*

Sonate pour piano No. 8 en ut mineur, Op. 13 « Pathétique »
Sonate pour piano No. 14 en ut dièse mineur, Op. 27 No. 2 « Clair de lune »
Sonate pour piano No. 26 en mi bémol majeur, Op. 81a « Les Adieux »
Sonate pour piano No. 32 en ut mineur, Op. 111
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Prélude et Fugue No. 1 en ut majeur, BWV 846
Prélude et Fugue No. 22 en si bémol mineur, BWV 867
Pastorale (extraite de l’”Oratorio de Noël”, BWV 248)

Wilhelm Backhaus, piano
London Symphony Orchestra
*Royal Albert Hall Orchestra
Sir Landon Ronald, direction

Un album de 2 CD du label APR6027
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Photo à la une : Le pianiste Wilhelm Backhaus – Photo : © Decca