Concerto-monde

Je me souviens encore de mon émerveillement en découvrant adolescent le coffret de deux microsillons His Master’s Voice renfermant ce qui était alors la première version discographique du Concerto pour piano de Ferrucio Busoni, œuvre insaisissable et fantasque qu’emportait avec une rage dionysiaque John Ogdon : un concerto de souffre et d’étoiles où j’entrevoyais des correspondances avec Doktor Faust.

Depuis, j’ai collectionné toutes les versions dont celles qui furent exhumées des archives : parmi elles la lecture stupéfiante de caractère et d’emportement signée par Noël Mewton-Wood et Sir Thomas Beecham. Mais une bande de la Radio Bavaroise dont j’avais obtenu une copie me semblait révéler une interprétation du même calibre et d’une importance historique supérieure. Pietro Scarpini jouait l’œuvre avec ses moyens phénoménaux, Rafael Kubelík la dirigeait en lui donnant des teintes mahlériennes, une sorte de quadrature du cercle entre une certaine italianita et l’ouverture sur les musiques d’un nouveau monde : par bien des aspects, Busoni aura anticipé sur la Seconde Ecole de Vienne.

Eh bien cette bande, que je désespérais de jamais voir publier – j’en avais signalé l’existence à plusieurs labels d’archives – la voici enfin éditée d’après le matériel original parfaitement conservé par la Radio Bavaroise.

Quelle version, incandescente et mystérieuse, qui culmine dans l’All’Italiana le plus fou avec celui de John Ogdon, mais Ogdon n’avait pas pour lui la direction poétique et visionnaire de Rafael Kubelík, et Scarpini joue l’œuvre non plus comme une coda à l’univers lizstien mais bien comme un grand concerto aventureux du XXe siècle, rien d’étonnant à cela, il se dévoua toujours à la musique de son temps – tout interprète majeur du grand répertoire qu’il fut.

Ce concerto est aussi un voyage, quasi goethéen, et dont le postlude avec chœur d’hommes ouvre sur de nouveaux horizons : Scarpini et Kubelík en comprennent la dimension spirituelle, la font rayonner comme aucun de ses autres interprètes, aussi talentueux fussent-ils.

En refermant cet album dont j’ai tant désiré la divulgation – il constitue également un ajout d’importance à la discographie de Rafael Kubelík – je me prends à songer que l’art de Pietro Scarpini mériterait d’être documenté par un éditeur soigneux. David Murphy poursuivra-t-il l’exhumation des concerts de ce pianiste majeur que le disque aura trop ignoré ?

LE DISQUE DU JOUR

Ferrucio Busoni (1866-1924)
Concerto pour piano et orchestre en ut majeur, BV 247, Op. 39

Pietro Scarpini, piano
Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Rafael Kubelík, direction

Un album du label First Hand Records FHR64
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Photo à la une : Le compositeur Ferrucio Busoni – Photo : © DR