Le retrouvé

Edwin Fardini, voix longue, timbre ému où passe comme le souvenir d’Hermann Prey, distille avec malaise les mots de Ricarda Huch : le mal du pays vous saisira. On croirait un instant l’un des Eichendorff-Lieder de Pfitzner, mais le piano dit autre chose, et la voix elle-même, dans le second lied de cet Opus 1 qui regarde déjà vers les amis Zemlinsky et Berg.

Entre deux mondes, voici Oskar Posa, qui connut l’apogée de Vienne et son partage une fois l’aigle tombé, la félicité d’une jeunesse où les notes fusaient de plus en plus libres, et un automne mortifère sous les persécutions tatillonnes de l’administration nazie.

Si Posa échappa aux camps d’extermination, son œuvre ne put se soustraire à l’étouffement de l’Anschluss. Le Quatuor de 1948, rescapé à force d’enquêtes et de jeux de pistes, le dit assez, immense tombeau à une Vienne disparue où un compositeur de soixante-quinze ans convoque dès l’Allegro le fantôme de Schönberg (celui de la Verklärte Nacht), puis évoque comme une nostalgie de l’Empire où résonnent des échos de Dvořák, de Brahms, tant de nostalgie qui gomme l’époque même où l’œuvre fut écrite, ce que le Quatuor Métamorphoses met en perspective.

Aussi admirables que soient le presque-rien de l’Albumblatt, l’Andante pour violoncelle et piano ou l’exigeante Sonate pour violon où le jeune Posa renferma les arcanes de son art, et d’abord l’audace d’une harmonie inféodée à l’espressivo qui le rapproche d’évidence de la Seconde Ecole de Vienne, il faut bien convenir qu’il est absolument un « Liedermeister ».

La pure beauté de ses opus vocaux où il ne refuse pas les apports de Brahms, de Reger, de Mahler, pour mieux les assimiler dans une langue somptueuse et secrète à la fois, sera pour beaucoup une révélation, et laisse rêveur. Avec élégance et profondeur, Edwin Fardini dévoile ces sombres merveilles, le piano attentif et alerte de Juliette Journaux en révélant toute la fantaisie : écoutez Das HandkussPosa fait son Richard Strauss : « merveilleux » assurément.

Je me souviens d’un raout organisé par Marguerite Dütschler sur le lac de Thoune. On discutait des lieder de Schoeck, Dietrich Fischer-Dieskau évoquait Sutermeister comme sujet d’un prochain projet, Marguerite Dütschler lui glissa « Ernst (Haefliger) m’a parlé d’un compositeur viennois de l’époque de Schönberg, je ne me souviens plus de son nom. » « Posa », souffla Fischer-Dieskau. Il savait décidément tout, et je l’imagine, toujours vivant, ouvrant ce beau livre-disque, plongeant dans le fabuleux appareil critique, les documentations photographiques, la biographie si utile, les pages sur les œuvres, les textes des Lieder, fruit d’un travail amoureux, longtemps poursuivi par Olivier Lalane, qui aura tiré la musique de Posa de l’oubli. Je l’espère pour toujours.

LE DISQUE DU JOUR

Oskar C. Posa (1873-1951)

CD 1
Albumblatt
Sonate pour violon et piano, Op. 7
Andante pour cor et piano en ré mineur (version pour violoncelle et piano : Oskar C. Posa)
Quatuor à cordes en fa, Op. 18
Juliette Journaux, piano – Eva Zavaro, violon – Simon Dechambre, violoncelle – Quatuor Metamorphoses

CD 2
4 Lieder sur des poèmes de Ricarda Huch, Op. 1
4 Lieder, Op. 2 (2 extraits : No. 2. Das Blatt im Buche ; No. 4. Irmelin Rose)
5 Lieder sur des poèmes de Detlev von Liliencron, Op. 3
4 Lieder sur des poèmes de Richard Dehmel, Op. 4 (3 extraits : No. 1. Menschenthorheit ; No. 2. Sehnsucht ; No. 4. Beschwichtigung)
5 Lieder sur des poèmes de Detlev von Liliencron, Op. 6 (2 extraits : No. 3. Und ich war fern ; No. 5. Die gelbe Blume Eifersucht)
Soldatenlieder, Op. 8
4 Lieder sur des poèmes de Detlev von Liliencron, Op. 10 (extrait : No. 3. Unwetter)
8 Poèmes de Theodor Storm, Op. 11 (extrait : No. 2. Schliesse mir dir Augen beide)
5 Poèmes de Theodor Storm, Op. 12 (extrait : No. 1. Mondlicht)
Edwin Fardini, baryton – Juliette Journaux, piano

Un album de 2 CD du label voilà records! V001, avec un livret de 263 pages, assorti d’une abondante documentation
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Photo à la une : © voilà records!