Tout des années harmonia mundi de Brigitte Engerer ? Alors comment expliquer l’absence de l’intégrale des œuvres pour quatre mains ou deux pianos de Rachmaninoff, le splendide album Ravel avec Régis Pasquier, les Sonates de Beethoven, de Schumann et de Grieg avec Olivier Charlier ? L’éditeur les indique à la fin du livret, la musique de chambre fut une part consubstantielle de son art, et une respiration supplémentaire durant ses années passées au Conservatoire de Moscou, dans la proximité de Stanislas Neuhaus, mais de cela, cette belle petite boîte ne nous dira rien, nous laissant en espérer une seconde.
Lorsque Brigitte Engerer, trente-cinq ans, entre à la Salle Adyar pour ses premières sessions harmonia mundi sous l’œil bienveillant et attentif de Jacques Drillon – il ne lui fera faux bond que pour les secondes sessions des Nocturnes de Chopin, on gage qu’ils les auront tous parcourus auparavant – elle revient enfin au disque après les brillants albums consentis à Decca dans le sillage de son troisième prix au Concours Reine Élisabeth et de ses débuts avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin : on ne pouvait que remarquer l’ampleur de sa sonorité, la hauteur de ses conceptions qui avaient conquis Herbert von Karajan.
Premier album tout Moussorgski. Jean-François Pontefract saisit la profondeur de ce clavier, sa plénitude harmonique, la palette si étendue des couleurs auxquelles les prises de son de Decca ne rendaient pas pleinement justice. Les Tableaux, emplis de visions, disent assez qu’à Moscou elle aura entendu le microsillon de Maria Yudina, tout un orchestre jaillit dans Une nuit sur le mont Chauve, mais l’émotion qui vous saisira à l’écoute du presque-rien d’Une larme dit assez quelle artiste elle fut.
Une artiste d’ailleurs toujours transparente aux œuvres : ses Nocturnes de Chopin sans pathos mais pas sans belcanto, où rien n’appuie mais tout parle, où le décor n’amoindrit jamais la poésie, sont restés singulièrement à part dans la discographie, je les tiens pour son chef-d’œuvre au disque, ma version de chevet.
Chez Schumann, elle reviendra à Kinderzenen, au Carnaval enregistrés alors qu’elle était encore jeune fille, leur donnant d’autres profondeurs nourries par cette sonorité devenue si naturelle, qui transmuera les abimes de l’Opus 110 de Beethoven en voie lactée, sommet d’un disque où je ne peux m’empêcher de pleurer l’absence d’autres Sonates.
Au fond l’héritage de ce qui fut ses meilleures années reste mince, il faudrait éditer des concerts des années 1990. Ceux qui herboriseront ici devront ensuite rechercher les gravures princeps pour Decca, l’album Schubert tardif pour Mirare, pour mieux revenir ici.
LE DISQUE DU JOUR
Brigitte Engerer
The Harmonia Mundi Years
Complete Solo Recordings
CD 1
Modeste Moussorgski (1839-1881)
Tableaux d’une exposition
Une nuit sur le mont Chauve (version pour piano seul : Konstantin Chernov)
Gopak (Hopak de jeunes Ukrainiens gaillards) extrait de « La Foire de Sorochyntsi »
Une larme
Souvenirs d’enfance
Scherzo en ut dièse mineur (seconde version)
CD 2
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
2 Rondos, Op. 51
6 Variations sur un thème original en ré majeur, Op. 76
Für Elise (Bagatelle en la mineur), WoO 59
Andante favori en fa majeur, WoO 57
Sonate pour piano No. 31 en la bémol majeur, Op. 110
CDs 3-4
Frédéric Chopin (1810-1849)
3 Nocturnes, Op. 9
3 Nocturnes, Op. 15
2 Nocturnes, Op. 27
2 Nocturnes, Op. 32
2 Nocturnes, Op. 37
2 Nocturnes, Op. 48
2 Nocturnes, Op. 55
2 Nocturnes, Op. 62
Nocturne en mi mineur, Op. 72 No. 1, B. 19
Nocturne en ut dièse mineur, B. 49
Nocturne en ut mineur, B. 108
CD 5
Robert Schumann (1810-1856)
Kinderszenen, Op. 15
Carnaval, Op. 9
Franz Liszt (1811-1886)
Lieder von Robert und Clara Schumann, S. 569 (No. 10. Geheimes Flüstern hier und dort [d’après C. Wieck-Schumann] ; No. 5. Er ist’s [d’après R. Schumann])
Frühlingsnacht, Lied von Schumann, S. 568 [d’après R. Schumann, Liederkreis Op. 39 – No. 12]
Widmung, Lied von Robert Schumann, S. 566 [d’après R. Schumann, Myrthen, Op. 25 – No. 1]
Brigitte Engerer, piano
Un coffret de 5 CD du label harmonia mundi HMX 2904137.41
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Photo à la une : la pianiste Brigitte Engerer – Photo : © Jean Pimentel