D’un album l’autre Yulianna Avdeeva poursuit ses voyages chez Chopin. Son nouvel opus semble le pendant d’un de ses disques plus anciens, devenu difficilement accessible, où elle assemblait deux Polonaises et un Scherzo autour de la Deuxième Sonate. Le pivot ici sera la Sonate en si mineur, classique sans froideur, tenue mais sans renoncer à l’espressivo, où s’évoque le souvenir des perfections de Dinu Lipatti, on la comparera avec intérêt avec son live du Concours de Varsovie.
Le cantabile des Nocturnes, Op. 62 déploie les sonorités dorées du splendide Steinway du Tippet Rise Art Center, elle n’a qu’à y phraser comme un rossignol, merveille qui prépare aux divagations secrètes de la Polonaise-fantaisie dont l’orage final jaillit soudain. Quelle maîtrise dans ces forte portés par les harmoniques, la grande caisse devient cet orchestre que Chopin rêva parfois de son piano.
Admirable, comme la Barcarolle emplie d’une nostalgie qui en raffine le balancement hypnotique. Coda chez les Mazurkas de l’Opus 59 : Moderato juste ombré de zal, une valse se glisse dans l’Allegretto, qu’elle effleure d’un toucher magique, et le grand geste du Vivace sera pris dans son ampleur, chanté autant que dansé, laissant espérer qu’après tant de récitals elle se résoudra à graver toutes les Valses, toutes les Mazurkas, tous les Nocturnes.
Je les espérais, mais non, l’album Chopin à peine refermé, ce sont les 24 Préludes et Fugues qu’elle aura gravés en marge de l’édition 2025 du Festival Chostakovitch de Leipzig qui paraissent.
Défi redoutable, Tatiana Nikolayeva continue d’y régner malgré tant de pianistes qui s’y sont risqués. Elle y entendait l’ombre de Bach évidemment, et invitait dans son piano cet orgue imaginaire. Yulianna Avdeeva au contraire en fait un voyage poétique dont l’humour, les sarcasmes, les abimes soudain jaillissent jusque dans les plus mystérieux pianissimos : un rossignol triste chante dans la 16e Fugue.
Sa lecture si prégnante renouvelle un cahier dont on aura souvent préféré souligner le côté magistral, elle le joue comme le journal intime du compositeur, au point que j’ai le sentiment de voir Chostakovitch les improviser, pencher dans la pénombre sur le modeste clavier d’un piano droit. Cette intimité est plus d’une fois bouleversante.
LE DISQUE DU JOUR
Frédéric Chopin (1810-1849)
2 Nocturnes, Op. 62
Polonaise-fantaisie en
la bémol majeur, Op. 61
Barcarolle en fa dièse majeur, Op. 60
Sonate pour piano No. 3 en
si mineur, Op. 58
3 Mazurkas, Op. 59
Yulianna Avdeeva, piano
Un album du label Pentatone PTC5187233
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Dmitri Chostakovitch
(1906-1975)
24 Préludes et Fugues, Op. 87
Prélude et Fugue en ut dièse mineur (esquisse retrouvée en 2005, complétée par Krzysztof Meyer entre 2019 et 2020)
Yulianna Avdeeva, piano
Un album de 2 CD du label Pentatone PTC5187480
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Photo à la une : la pianiste Yulianna Avdeeva –
Photo : © Maxim Abrossimow