Né pour Beethoven

Le plus allemand des pianistes russes ? Certainement, d’ailleurs Beethoven fut l’un des objets majeurs de l’art de Sviatoslav Richter, l’autre étant à mon sens Claude Debussy, façon de rendre caduque l’assertion de départ de ce papier. Car évidemment Sviatoslav Richter était insaisissable.

En tous cas, Beethoven libérait chez lui cet art de l’improvisation : une fabuleuse 18e Sonate le montre follement libre dans la plus absolue rigueur : le tempo ne bouge pas, mais les accents, les phrasés, les piqués !

Quel ange diabolique l’inspira tout au long de ce concert à Lucerne resté sans raison trouvée inédit jusque là (alors que les témoignages de certaines tournées italiennes contemporaines, sur de moins beaux pianos, et moins fidèlement captées, furent publiés dans la foulée par l’étiquette jaune) ?

Le Finale de la 18è est éblouissant, tout comme la poésie si complexe de la 27e, diptyque aventureux dont Richter savoure les interrogations, les suspensions, les déviations. L’Opus 101 ouvre d’autres horizons, le son un peu doré de la petite ariette qui prélude la Sonate est déjà d’un monde différent, la marche, précipitée, a quelque chose de schumannien par l’allégement, la fulgurance, pour mieux faire contraste avec le chant profond de l’Adagio avant le jeu éclatant du Finale.

La même année, mais dans sa Grange de Meslay, Richter offre le plus touchant des Opus 110, l’une de ses Sonates favorites, cantabile pas du tout moderato, Allegro très dit, et même plus lent qu’à l’habitude, manière de l’apparier à un Adagio fluide jusque dans le quasi-silence qui fait du dolente un murmure dont naîtra la Fugue, fluide elle aussi, avec des résonances d’orgue.

Merci à Elisabeth Leonskaja d’avoir permis la publication de ces « tapes » pas si perdues que cela : au temps du microsillon, Deutsche Grammophon en avait édité les test pressings, tout cela est raconté, par elle et par d’autres, dans un livret aussi informatif que le disque précieux.

LE DISQUE DU JOUR

The Lost Tapes

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 18
en mi bémol majeur, Op. 31 No. 3 “La chasse”

Sonate pour piano No. 27
en mi mineur, Op. 90

Sonate pour piano No. 28
en la majeur, Op. 101

Sonate pour piano No. 31 en la bémol majeur, Op. 110

Sviatoslav Richter, piano

Un album du label Deutsche Grammophon 4795554
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Photo à la une : un dessin représentant le pianiste Sviatoslav Richter – Photo : © Peter Reuter