Roger Muraro en aura mis du temps ! Alors qu’il triomphait des défis de Messiaen déjà son grand piano rêvait de Liszt. Les Harmonies poétiques et religieuses viendront les premières, puis la Sonate pour La Dolce Volta, mais sa palette, son piano économe de pédales c’est-à-dire sachant en jouer à propos, son sens du récit à travers les étapes le destinaient aux Années de Pèlerinage, où Liszt bascule du profane au sacré.
Par où commencer le voyage ? Par le supplément : Venezia e Napoli, triptyque tenu pour mineur, quasi pièce rapportée et où Liszt effectue une synthèse entre le plus sombre et le plus solaire. La Gondoliera vénitienne sonne sous ses doigts, sélène, quasi baudelairienne, la Canzone plus tragique qu’amoureuse, puis cette Tarentella, commencée comme un orage et tournée en pur belcanto, quelle merveille !
En Suisse, l’épique de la Vallée d’Obermann, conte enténébré dans ce piano amer, ne laisse pas croire les clartés scarlatiennes de la Pastorale, d’Au bord d’une source, et pourtant !, mais comment ne pas entendre dans sa façon d’espacer Les Cloches de Genève une apparition ravélienne, autre objet de son art ?
Les grandes fantaisies littéraires de la première année d’Italie sont dans un piano si esthète abreuvées par leurs sources poétiques, et les abimes et les exaltations de la Dante rappellent le virtuose sans oublier le conteur. Plus définitive peut-être dans son ascèse, dans sa quasi-nudité, l’ultime année sera sombre à souhait, le pianiste insistant sur les audaces du compositeur, transposant soudain Liszt au XXe siècle, avec pour seul échappée belle ces Jeux d’eau à la Villa d’Este dont le perlé se sera invité sur le piano de Ravel.
LE DISQUE DU JOUR
Franz Liszt (1811-1886)
Années de pèlerinage I,
S. 160. Suisse
Années de pèlerinage II,
S. 161. Italie
Années de pèlerinage II,
S. 162. Supplément « Venezia e Napoli »
Années de pèlerinage III,
S. 163
Roger Muraro, piano
Un coffret de 3 CD du label Alpha Classics 1075
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Photo à la une : le pianiste Roger Muraro – Photo : © Jean-Baptiste Millot