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Le récital oublié

Une tendresse de toucher, des phrases mi-closes, voilà comment Youri Egorov entrait en doigts feutrés dans l’Arabeske de Schumann, médusant le public de la Grote Zaal du Concertgebouw ce 16 novembre 1983. Une confidence d’une nostalgie irrépressible, mais tenue, intense jusque dans le murmure, avec cette beauté de la sonorité d’ensemble où les registres se contrastent et s’épaulent pourtant, qui n’appartint qu’à lui.

foto-yori-egorovComme il en avait l’habitude, il ne laisse qu’une fraction de seconde entre la fin de l’Arabeske et le début de Kreisleriana, dont l’élan subjugue, qui fait tout entendre de la polyphonie, éclate le nuancier jusque-là sollicité pour révéler un orchestre. Jamais ce clavier si plein et si volatile ne se sature, porté par la puissance douce des harmonies : ce que jouer à dix doigts, et non pas à deux mains, veut dire.

Ces Kreisleriana d’un jeune homme qui n’avait pas encore atteint ses tente ans sont aussi fantasques que rêvées, jouées avec une attention aux nuances de couleurs, de phrasés, un art de l’émotion qui s’incarnent dans cette maîtrise du temps musical caractéristique du génie expressif de Schumann. C’est le temps long, qui par-delà les épisodes du discours, refuse la fragmentation. Tout s’y unifie, une seule grande ligne emporte le récit, qui permet au pianiste de dire tout du texte. Et si c’était les plus belles Kreisleriana jamais éditées au disque ? Probable.

Les couleurs, les sons, les parfums surabondent dans le Premier Livre de Préludes qui composait la seconde partie du récital. Ce Debussy de plein jeu, mobile à l’extrême jusque dans ses écritures les plus raréfiées – Des pas sur la neige est anthologique – est pourtant toujours d’un caractère ambigu, rien ne s’y résout même lorsque le trait devrait se charger : c’est la dispersion du son, la rêverie dorée des aigus et des médiums qui émanent de la Sérénade interrompue. Le guitariste y est vu dans le décor, élément d’un paysage sonore qui soudain devient si réel qu’on croirait pouvoir le toucher, incarnation certes, mais de sons savamment composés, celle d’un art longtemps essayé pour parvenir à ce degré de naturel où l’émotion peut affleurer sans rien de démonstratif. Youri Egorov avait tout compris du « Mystère Debussy ».

Incroyable, alors que l’on voit avec bonheur depuis quelques années la publication des enregistrements en concert de cette étoile filante du piano moderne, ce récital amstellodamois n’avait jamais paru, malgré ses qualités artistiques transcendantes et la plénitude de sa captation sonore qui saisit tout du magnifique Steinway joué ce soir-là. Le voici disponible en CD grâce à l’entêtement de Wim de Haan qui a obtenu de la Radio TROS l’autorisation de publier cent copies CD à partir de la bande originale, vous pourrez le commander uniquement sur le site www.youri-egorov.info. Ne tardez pas.

LE DISQUE DU JOUR

cover-egorov-wimYouri Egorov
Récital à la Grote Zaal du Concertgebouw d’Amsterdam le 16 novembre 1983

Robert Schumann (1810-1856)
Arabeske, Op. 18
Kreisleriana, Op. 16
Claude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre I

Youri Egorov, piano

Un album en édition limitée DHR WH001
Acheter l’album sur le site du label www.youri-egorov.info

Photo à la une : © DR

Ultramontain

Décidément, l’Italie est une terre de pianistes. L’art de Costantino Catena, quarante-sept ans, formé au Conservatoire Giuseppe Martucci de Salerno, illustre bien cette école d’un clavier clair, véloce, qui refuse les effets pour ne s’attacher qu’à la musique, si proche de celui d’Aldo Ciccolini avec lequel il étudia d’ailleurs.

Son double album Liszt, consacré à des pièces inspirées par les voyages ultramontains du virtuose est prodigieux autant par le choix des œuvres et leur assemblage que par la qualité d’un jeu alerte où les couleurs fusent. Venezia e Napoli contraste mélancolie et ivresse, mais le double CD regorge de pièces plus rares, comme la Nuit d’été à Pausillippe déduite de Donizetti, ou la si évocatrice Canzone Napolitena-Notturno.

Pour la virtuosité, Costantino Catena ne craint pas de s’affronter à la redoutable Tarentelle de Bravoure d’après La Muette de Portici d’Auber. Pour l’art de l’atmosphère les gondoles, funèbres ou pas, montre tout ce qu’il peut tirer des graves profonds d’un grand Fazioli réglé à la perfection.

Tout un autre disque, consacré au Quatuor et au Quintette de Schumann le montre chambriste attentif, composant avec ses amis du Quatuor Savinio un discours ardent, mais c’est bien un plein album dévolu à des opus rarement enregistrés de Richard Strauss par lequel il vous faudra commencer. Les Klavierstücke Op. 3, les Stimmungsbilder prouvent que l’art de Strauss écrivant pour le piano ne se limitait pas à ses prodigieux accompagnements composés avec tant d’art pour les lieder.

Au point que, revivifié sous les doigts de Costantino Catena, ces deux opus se replacent dans le grand livre du piano romantique allemand, à la coda de ceux de Brahms qu’ils évoquent souvent. Les amis du Quatuor Savinio le rejoignent pour deux rares cahiers de pièces brèves. Ensemble parfait, complément idéal de toute discothèque Strauss. Mais Costantino Catena vient de revenir à Liszt, signant un programme autour des Légendes. J’attends cela avec impatience.

LE DISQUE DU JOUR

catena liszt cover camerataFranz Liszt (1811-1886)
Venezia e Napoli
Tarantella de Dargomyzskij,
S. 483

Trois Amusements sur des motifs de l’Album de Donizetti,
S. 399

3 Soirées Musicales de Rossini, S. 424
Canzone Napolitana-
Notturno, S. 248

Tarantella di Bravura, d’après la « Tarantelle » de « La Muette de Portici » d’Auber, S. 386
Variations sur le Carnaval de Venise, S. 700
Canzone Napolitana-Notturno, S. 248
Tarantella de C. Cui Op. 12 S482
Der Gondelfahrer (II Gondoliere), D. 809, S. 559
Die Trauergondel II (La lugubre gondola II), S. 200ii
Venezia e Napoli, S. 162

Costantino Catena, piano
Un album de 2 CD du label Camerata CMCD15133-4
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schumann catena savinio camerataRobert Schumann (1810-1856)
Quatuor pour piano
en mi bémol majeur, Op. 47

Quatuor pour piano
en mi bémol majeur, Op. 44

Costantino Catena, piano
Un album du label Camerata CMCD28320
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catena strauss piano camerataRichard Strauss and the Piano
Richard Strauss (1864-1949)

Klavierstücke, Op. 3, TrV 105
Ständchen, TrV 114
Festmarsch, TrV 136
2 Pièces pour piano, violon,
alto et violoncelle, TrV 169
Concertante pour piano,
2 violons et violoncelle, TrV 33

Stimmungsbilder, Op. 9, TrV 127

Costantino Catena, piano
Quatuor Savinio

Un album du label Camerata CMCD28309
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Photo à la une : © DR

Argerich 75

Le 5 juin dernier, Martha Argerich fêtait ses soixante-quinze ans. Son legs discographique, dispersé entre quantité d’éditeurs, n’aura pas permis d’assembler un de ces forts coffrets Continuer la lecture de Argerich 75