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Orfei

Monteverdi, Rossi, Sartorio, trois Orfeo auront marqué le XVIIe siècle, Philippe Jaroussky herborise de l’un à l’autre en bousculant la chronologie des trois ouvrages (1607, 1647, 1672) mais en retissant l’histoire d’Orfeo du début à la fin, Arcadie, mort d’Eurydice, voyage aux Enfers, salvation.

Si Possente spirto, le grand air orné où Monteverdi dépeint Orfeo charmant les esprits infernaux, le montre virtuose, inspiré mais parfois contraint par la tension de l’ambitus – les ténors peuvent y mettre plus de mordant -, dans tout le reste, il émerveille sans condition, et d’abord dans les airs de l’opéra de Sartorio qui semble un vrai chef-d’œuvre.

Injustice, si l’on a de belles intégrales du Monteverdi, si William Christie a ressuscité l’opéra de Rossi avec art, L’Orfeo de Sartorio n’a connu que deux versions très modestes qui n’en rendent pas compte, celle de Stephen Stubbs et son Teatro Lirico (Vanguard) et celle de René Clemencic, introuvables depuis des lustres.

En entendant la grande scène où Euridice tire Orfeo de son sommeil, je me dis que Philippe Jaroussky et son Euridice, Emőke Baráth, seraient bien inspirés de graver l’intégrale de l’œuvre, d’autant que Diego Fasolis et ses Barocchisti s’y engagent avec poésie et feu.

L’autre héros de cet album subtil et révélateur est une héroïne : écoutez seulement comment Emőke Baráth chante le déchirant « Mio ben, teco il tormento » du Rossi où semble passer l’ombre de Purcell. Impossible d’écouter simplement le disque dans sa chronologie, peu à peu je me suis pris au jeu, allant de Rossi à Sartorio, puis de Monteverdi à Sartorio, tissant mes propres correspondances.

Clematis et Zachary Wilder en restent quand à eux à Monteverdi et à son entourage mantouan. Toujours L’Orfeo mais côté balletti, ceux de l’opéra qui s’assemblent en une suite avec les Sinfonias et deux airs vifs. Comme La Moresca sonne pleine et leste ! Dans Tempro la cetra, les ornements, la virtuosité, les affetti mesurés mais brillants, indiquent que le madrigal monteverdien a trouvé en Zachary Wilder un nouvel Apollon.

Il est tout aussi vif et expressif lors des brèves injonctions orphiques, et soudain miel et ambre pour le sublime Tirsi mio, caro Tirsi coulé de la plume du véritable héros de ce nouveau disque de Clematis, Salomone Rossi. Ses deux autres madrigaux à voix seule, ses pièces instrumentales si élégantes et si touchantes, vous seront les guides d’un savant parcours dans la musique instrumentale à la cour de Mantoue : le jeu d’échos de la Canzon francese de Lodovico Viadana, la magnifique Sonata de Biagio Marini, La Mantovana de Zanetti trouvent dans les cordes frottées ou pincées de Stéphanie de Failly et de ses amis – écoutez seulement le lirone de Jérôme Huille – autant de voix entre plaisirs et mélancolies.

C’est à Florence, chez les Medicis, à l’orée du XVIIe siècle, que nous entrainent Marc et Angélique Mauillon, voix et arpa doppia, pour illustrer l’art des deux Orphée toscans, Jacopo Peri et Giulio Caccini (surtout lui, maître des canti maniéristes, quasi inchantables à force d’ornements et d’affetti). C’est toute une carte du Tendre qu’arpente avec son ténor piquant, presque rêche, Marc Mauillon. Ténor ? On le sait aussi baryton, mais il appartient à cette race de chanteurs où le mot, et son émotion, imposent leurs couleurs à la voix. Écoutez un peu Odi, Euterpe où le désir se trousse si vivement sous la plume de Caccini. Il faut le vivre.

Je ne me lasse pas de ce voyage vers l’intime, de sa sensualité aigüe, de son imaginaire torturé, ni de cette voix qui profère et anime, pas plus de cette arpa doppia dont les registres conduisent si bien ce style qui, dans sa permanence même, passe d’un siècle à l’autre, rendant le cours du temps invisible. Et si c’était le plus bel album de Marc Mauillon, sa plus belle « présence », depuis ses Machaut ?

LE DISQUE DU JOUR

La Storia di Orfeo
Extraits des versions de L’Orfeo composées par Claudio Monteverdi, Luigi Rossi, Antonio Sartorio

Philippe Jaroussky,
contre-ténor
Emőke Baráth, soprano
Coro della Radiotelevisionne svizzera
I Barocchisti
Diego Fasolis, direction
Un album du label Erato 0190295851903
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Balletti e Sonate
Lodovico Viadana (1560-1627)
Canzon francese
Salomone Rossi (1570-1630)
Sinfonia grave a 5
Gagliarda a 5 detta la Norsina
Passeggio d’un balletto a 5
Gagliarda a 5 detta la Massara
Sinfonia a 5
Sinfonia prima
Sonata dudodecima sopra la Bergamasca
Tirsi mio, caro Tirsi
Sinfonia undecima (in echo)
Anima del cor mio
Corrente terza
Brando primo

Sonata prima
Sonata in Dialogo detta la Vienna
Claudio Monteverdi (1567-1643)
Tempro la cetra
Il Ballo delle Ingrate (Ballo)
L’Orfeo, SV 318 (extraits)
Biagio Marini (1594-1663)
Sonata sopra « Fuggi, fuggi dolente core »
Giuseppino del Bialo (fl. 1600)
Fuggi, fuggi da questo cielo
Gasparo Zanetti (1600-1660)
La Mantovana

Zachary Wilder, ténor
Clematis
Un album du label Ricercar RIC 377
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Li due Orfei
Jacopo Peri (1561-1633)
Tu dormi, e’l dolce sonno
Tra le donne onde s’onora
Un dì soletto
Tutto ’l dì piango
Al fonte, al prato

Giulio Caccini (1551-1618)
Dolcissimo sospiro
A quei sospir ardenti
Mentre che fra doglie e pene
Vedrò’ l mio sol
Amarilli mia bella
Tutto’ l dì piango
Odi, Euterpe
Movetevi a pietà
Torna, deh torna [Romanesca]
Perfidissimo volto
Non ha’ l ciel cotanti lumi
Pien d’amoroso affetto

Luzzasco Luzzaschi (ca. 1545-1607)
Toccata del quarto tono
Canzona
Alessandro Piccinini (1566-1638)
Aria di sarabanda in varie partite (extrait du « Intavolatura di Liuto e di Chitarrone, Libro Primo, Bologna 1623)

Marc Mauillon, ténor
Angélique Mauillon, harpe
Un album du label Arcana A393
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Photo à la une : © DR

Le plus français des Bach

Ce violon qui enrubanne une longue phrase mélancolique où passe le génie de Corelli, puis ce Menuet alerte qui virevolte, si français, les revoilà enfin. L’Ouverture (ou Suite) en sol majeur de Johann Bernhard Bach ne Continuer la lecture de Le plus français des Bach

Le Tombeau du Poète

Peu importe au fond que Guillaume Lekeu soit mort à Angers dans sa vingt-quatrième année le 21 janvier 1894, empoisonné par un sorbet qui lui fit contracter la typhoïde : il avait déjà donné toute la mesure de son génie qui se résume dans la nuit étoilée de son Adagio pour quatuor d’orchestre, musique inouïe. Continuer la lecture de Le Tombeau du Poète

Rameau et la Paix de Fontenoy

Le somptueux livre-disque qui enchâsse cette nouvelle version du Temple de la Gloire – la deuxième en fait, seul Jean-Claude Magloire l’avait précédé en 1981, coupant abondamment – s’ouvre sur le fameux portrait de Voltaire brossé par Quentin de La Tour : ce roué d’Arouet vous affiche un petit sourire en coin qui a l’air de dire : « J’ai bien profité de Rameau ».

Et en effet, ce Temple de la Gloire qu’il brossa nonchalamment malgré les piques et les humeurs du dijonnais, lui permit de paraître à Versailles, lui qui voulut vainement briller à la Cour, celle de Louis XV, et même plus tard du jeune Louis XVI, rêve qui le fit revenir de se retraite de Ferney et mourir à Paris.

Bon, laissons là les bisbilles entre le librettiste et son musicien, d’autant qu’emporté par la battue vive de Guy van Waas, ce Temple, pour divertissement qu’il soit et sans jamais avoir même la tentation de prétendre aux inventions d’Hippolyte et Aricie qui avaient fort agacé Voltaire, est du très beau Rameau, habile, brillant, jouant des codes et osant un orchestre merveilleux et des effets stupéfiants que ce soient les musiques guerrières du PrologueDiderot cite dans son Neveu de Rameau la scène initiale, preuve que l’œuvre laissa des traces parmi les contemporains – aux abondantes musettes de la Première Entrée en passant par les danses des faunes de Bacchus. Quel plaisir, quel entrain, quel brio si bien dorés par le geste chorégraphique qu’y met la troupe assemblée ici : car c’est bien la danse qui déborde tout ici, impérieuse, solaire, emportée par une équipe de chant ardente où brillent particulièrement Judith van Wanroij et Alain Buet.

Glossa n’a pas mis les mêmes moyens pour publier le premier enregistrement du ballet héroïque Les Fêtes de Polymnie, elles aussi écrites pour célébrer la bataille de Fontenoy emportée par une contre-attaque décisive du Duc de Richelieu. Ses chœurs aussi abondants que somptueux marquèrent le public du temps.

Cette fois, la résurrection vient de Budapest, menée avec éclat mais non sans lourdeur par György Vashegyi qui y conduit des chœurs nombreux et vaillants. La musique martiale n’a pas non plus les charmes et la variété du Temple de la Gloire et la distribution affiche une merveille, Véronique Gens Stratonice et Oriade de grande venue, et une désillusion, Mathias Vidal dans un jour de naufrage qui étrangle ses aigus. Quel dommage ! Et si Guy van Waas s’attelait là aussi à faire renaître ce Rameau qu’on a un peu vite déclaré mineur ?

LE DISQUE DU JOUR

cover waas rameau temple ricercarJean-Philippe Rameau (1683-1764)
Le Temple de la Gloire

Judith van Wanroij, soprano (Lydie, Plautine)
Katia Velletaz, soprano
(Une Bergère, une Bacchante, Junie)
Chantal Santon-Jeffery, soprano (Arsine, Érigone,
la Gloire)

Mathias Vidal, ténor (Apollon, Bacchus, Trajan)
Alain Buet , basse (L’Envie, Bélus, le Grand Prêtre de la Gloire)

Les Agrémens
Orchestre de Chambre de Namur
Guy van Waas, direction
Un livre-disque (2 CDs) du label Ricercar RIC363
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cover rameau polymnie glossaJean-Philippe Rameau
Les Fêtes de Polymnie
(Ballet héroïque, Paris, 1745)

Aurélia Legay, dessus (Mnémosyne, Hébé, Argélie)
Emőke Baráth, dessus (Polymnie, une Suivante d’Hébé, une Syrienne)
Márta Stefanik, dessus
(La Victoire)
Véronique Gens, bas-dessus (Stratonice, Oriade)
Mathias Vidal, haute-contre (Le Chef des Arts, Alcide, Antiochus)
Thomas Doliè, basse-taille (Jupiter, Séleucus, Zimès)
Domonkos Blazsó, basse-taille (Le Destin)

Purcell Choir
Orfeo Orchestra
György Vashegyi, direction
Un album de 2 CD du label Glossa GCD 923502
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