Archives de catégorie : Discophilia. Les chroniques de Jean-Charles Hoffelé

Jean-Charles Hoffelé nous raconte ses écoutes, ses coups de coeur, ses déambulations dans la grande histoire de l’enregistrement du disque classique

Le monde flottant

Voici six ans, Hazan publiait la parfaite monographie que Matthi Forrer avait consacré à Hokusai en l’assortissant d’une iconographie somptueuse. L’historien d’art y reprenait à grands traits la biographie croisée du maître japonais et d’Edmond de Goncourt Continuer la lecture de Le monde flottant

Andalousie

Garrick Ohlsson aura pris son temps pour venir au disque confronter son grand piano aux Espagnols, mais on doit se souvenir qu’au concert, il avait commencé assez tôt. Ses récentes Goyescas, peintes à grands traits, dans la profusion de son clavier orchestre, m’avaient étonné en bien, mais l’attendais-je dans Falla qui veut idéalement un clavier plus sec, des angles plus vifs et n’a, croit-on, que faire d’un tel instrument ?

Dès les Quatre pièces espagnoles, je dois abandonner ma défiance : ce clavier plein sait les faire danser et leur donne un sacré caractère, même si les sorcelleries de timbres d’une Alicia de Larrocha n’y sont pas. Heureusement, Ohlsson nous épargne les pièces de jeunesse qui ne sont qu’anecdotes, il préfère les transcriptions des ballets que Falla brossa pour lui-même et pour Ricardo Viñes. Son Tricorne est très visuel, d’un piano vraiment orchestre et pas une trace des stylisations XVIIIe siècle qu’y dorait Larrocha n’y paraît, mais assurément la danse, le grand geste de Massine. C’est Ballets russes !

Le premier coup de génie du disque résonne dès la proclamation de la Pantomime qui ouvre El amor brujo : tout y est, la caverne, la nostalgie, les enchantements et les fureurs de Candelas, le conte et le ballet, les sanglots des cantaores, une Danse du feu qui ne pourrait être un bis, tout cela incarné dans un piano orchestre assez fabuleux, qui peut se tenir à coté de celui d’Alicia de Larrocha, c’est dire !

Autre coup de génie, une Fantasia Baetica visionnaire, roide, droite et puissante, qui a un petit côté Sacre du printemps, rituel primitif dont Ohlsson transmue là encore le piano clavier en un orchestre aux strates multiples et qui exploite les complexités harmoniques de la partition, désignant à quel degré Falla y avait atteint un point de non-retour. Plus andalou serait impossible, semble proclamer Ohlsson. Le plus étonnant est bien qu’il le fasse dans un clavier jamais guitare, où aucune facilité, aucune Espagne de pacotille ne paraît jamais. Mais, quelle Andalousie !

LE DISQUE DU JOUR

Manuel de Falla (1876-1946)
Cuatros piezas espanolas (4 Pièces espagnoles)
Tres Danzas d’ « El sombrero de tres picos »
Canto de los remeros del Volga
El amor brujo, suite pour piano
Homenaje (Hommage pour le tombeau de Clause Debussy)
Danza No. 2, extraite de « La vida breve » (arr. pour piano)
Fantasia Baetica

Garrick Ohlsson, piano

Un album du label Hypérion CDA68177
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Photo à la une : © DR

Concerto de chanteuse

Le Concerto de Korngold, écrit pour Heifetz et littéralement cousu de musiques pour Hollywood, enchante les violonistes de la jeune génération depuis que Gil Shaham l’a en quelque sorte ressuscité, je n’y attendais pourtant pas Liza Ferschtman dont la relecture radicale du Concerto de Beethoven m’avait tant surpris, j’avais tort.

Son archet lyrique déploie les phrases passionnées du Moderato si loin, et elle vous emporte au cœur de la Romanze, vrai nocturne en nuit américaine envoûtant jusque dans des pianissimos sorciers, mais c’est dans l’esprit scherzando fantastique du Finale que son art flamboie. Heifetz n’a qu’à bien se tenir, car ce violon plein d’esprit se cabre et sifflote avec une liberté confondante d’accents, de rythmes, d’apartés, tout cela fuse d’autant que l’Orchestre Symphonique de Prague caracole sous la baguette ailée de Jiří Malát, je me laisse griser jusqu’à la coda, surpris soudain d’entendre un public exulter. En plus, on est au concert !

Tout comme pour la Sérénade déduite du Banquet de Platon par Leonard Bernstein, suite de portraits où le violon s’enflamme puis songe, opus magique que Liza Ferschtman joue ave ardeur, sans les effets de suspens qu’y mettait Gidon Kremer et c’est tant mieux : l’ouvrage y gagne sa place de classique du XXe siècle, comme sous l’archet de Kolja Blacher tout récemment (j’y reviendrai).

Et maintenant, si Liza Ferschtman se penchait sur les Concertos de Grażyna Bacewicz ? Ils semblent écrits pour elle et ne sont guère courus au disque malgré l’intégrale de Joanna Kurkowicz et de Łukasz Borowicz pour Chandos.

LE DISQUE DU JOUR

Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 35
Leonard Bernstein (1918-1990)
Sérénade pour violon et orchestre d’après le « Banquet » de Platon

Liza Ferschtman, violon
Orchestre Symphonique de Prague (Korngold)
Jiří Malát, direction (Korngold)
Het Gelders Orkest (Bernstein)
Christian Vásquez, direction (Bernstein)

Un album du label Challenge Classics CC72755
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Photo à la une : © Jonathan Zizzo