Archives par mot-clé : Wilhelm Furtwängler

Paris-Vienne

Les Symphonies de Beethoven ont une histoire française : Habeneck, comme le notait Balzac, mettait son public sens dessus dessous en les dirigeant avec une exaltation débridée – peut-être Furtwängler fit-il ainsi au siècle suivant de l’autre côté du Rhin – habituant les Parisiens à se faire une certaine idée des neuf symphonies : l’œuvre d’un démiurge qui osait tout, et pour cela, enthousiasmait Berlioz.

Carl Schuricht, les enregistrant pour le disque avec la Société des Concerts du Conservatoire, leur donna pour l’ère moderne un visage nouveau, énergie pure, couleurs claires, lignes élégantes, comment ne pas appliquer les mêmes caractéristiques à l’intégrale que Philippe Jordan présenta lors de la saison 2014-2015 avec son Orchestre de l’Opéra de Paris et qui fut filmée entre Bastille et Garnier (pour les Deuxième et Septième dont l’acoustique est plus flatteuse) ?

L’élégance suprême du geste de ce jeune homme rappelle rien moins que celle d’André Cluytens : Philippe Jordan danse son Beethoven dans un ballet de bras aussi précis qu’évocateur. Quelle énergie tout du long qui sans cesse élève le discours de Beethoven sans jamais l’hystériser. La balance, parfaite, quasi mozartienne par la finesse des équilibres entre bois et cordes, n’assène jamais les cuivres : eux aussi, ils élancent le discours : voyez toute la Septième Symphonie, tenue avec cette rigueur solaire qui me rappelle celle qu’y mettait Guido Cantelli. Tout le cycle est magnifique, en lumière, classique,résumant le style impeccable qu’aura imposé Philippe Jordan à La Grande Boutique.

Nommé directeur musical des Wiener Symphoniker, il n’aura eu de cesse que d’y recommencer son Beethoven, le confrontant à un orchestre qui le joue de haute tradition, pas moins que celle illustrée par leurs collègues des Wiener Philharmoniker.

Et c’est merveille, car cette fois l’accord est parfait entre le style de la phalange, le propos de son chef et l’acoustique de la Goldener Saal. Le ton cravaché de son Eroica où tout semble si naturel et pourtant si dramatique, est en soi miraculeux par cette tension fuligineuse des lignes, la souplesse mordante des rythmes, la fluidité nerveuse de l’ensemble, les fulgurances de la polyphonie qui envole littéralement l’orchestre dans le Finale. Tout cela fait une Eroica de première grandeur, d’une hauteur de vue, d’une perfection de réalisation qui vous transporte par une pure énergie.

Sans pathos, mercurienne, leur 5e Symphonie ne ressemble à aucune autre, même si son legato subtil évoque celui de Karajan, l’analogie n’est pas un mince compliment, d’autant qu’elle n’est pas vaine. Le travail sur les phrasés et les accents conduit la Quatrième très loin dans sa furia de cordes, quel Finale !, et la Première Symphonie déjà résonne comme une proclamation totale du génie beethovénien.

Les deux premiers jalons de cette intégrale exaltante avivent mon impatience des suivants.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 1 en ut majeur, Op. 21
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 36
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 „Eroica“
Symphonie No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
Symphonie No. 5 en ut mineur, Op. 67
Symphonie No. 6 en fa majeur, Op. 68 « Pastorale »
Symphonie No. 7 en la majeur, Op. 92
Symphonie No. 8 en fa majeur, Op. 93
Symphonie No. 9 en ré mineur, Op. 125 « Chorale »

Ricarda Merbeth, soprano
Daniela Sindram, mezzo-soprano
Robert Dean Smith, tenor
Günther Groissböck, baryton-basse
Chœurs et Orchestre de l’Opéra National de Paris
Philippe Jordan, direction
Un coffret de 4 DVD du label Arthaus 109248
Acheter l’album sur Amazon.de

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 1 en ut majeur, Op. 21
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 „Eroica“

Wiener Symphoniker
Philippe Jordan, direction
Un album du label Wiener Symphoniker WSO013
Acheter l’album sur le site du label Avie Records ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
Symphonie No. 5 en ut mineur, Op. 67

Wiener Symphoniker
Philippe Jordan, direction
Un album du label Wiener Symphoniker WSO014
Acheter l’album sur le site du label Avie Records ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © DR

L’Ouverture perdue

On croyait cette captation de l’Ouverture de Manfred perdue, la voici enfin retrouvée, prélude enfiévré à ce concert lucernois dont le reste du programme était bien connu et fut parfois édité. Les zélateurs de Furtwängler auront souligné à juste titre l’éloquence de cette soirée du 26 août 1953 où le chef allemand renouait avec les fulgurances de ses concerts de l’entre-deux guerres, et en effet toute une certaine radicalité de son art y paraît, qui veut produire à chaque instant une émotion irrépressible quitte à brusquer les textes.

Sommet du concert, une Eroica à tomber, violente, âpre, emmenée avec un panache fou dès les premières mesures de l’Allegro con brio. Elle culmine dans une Marche funèbre terrible de noirceur et un Finale construit comme un inexorable crescendo, cravaché, tout en élan. La 4e Symphonie de Schumann n’est pas en reste, si affirmée dans ses cadences, si rythmée au point que le chant s’inféode toujours à cette battue qui ne laisse rien dans l’ombre tout en suggérant des paysages aux arrière-plans complexes : Furtwängler entendait mieux que beaucoup d’autres les subtilités si particulières de l’orchestre du compositeur de Genoveva (seul Hermann Abendroth l’égalait ici). Le pont entre les deux derniers mouvements reste toujours aussi surprenant, jumeau de celui capté au studio par Deutsche Grammophon.

Si ce concert splendide est resté en marge de la discographie, c’est qu’on aura reproché au Schweizerisches Festspielorchester (aujourd’hui l’Orchestre du Festival de Lucerne), tout emmené qu’il fut ici par Michel Schwalbé, ne pouvoir prétendre à la cohésion des Berlinois ou des Viennois.

Mais l’édition restitue enfin les bandes originales et leur acuité sonore change radicalement la donne, débarrassant des scories des copies précédentes la sonorité si puissante d’une formation qui fait corps avec la battue si mobile de Furtwängler, au point que plus d’une fois cette adéquation semble proche d’un certain idéal.

LE DISQUE DU JOUR

Robert Schumann (1810-1856)
Manfred, Op. 115 – Ouverture
Symphonie No. 4 en ré mineur, Op. 120
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 “Eroica”

Schweizerisches Festspielorchester
Wilhelm Furtwängler, direction

Un album de 2 SACD du label Audite 23441
Acheter l’album sur le site du label Audite, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : Wilhelm Furtwängler, dirigeant les Wiener Philharmoniker – Photo : © DR

Année Bruckner

Juin 2016, Chicago, Riccardo Muti parvient aux dernières mesures de l’Adagio de la 9e Symphonie d’Anton Bruckner, ce cercle éternel que le silence peine à dissoudre. Quelle émotion !, que je n’avais plus ressentie depuis qu’un autre chef d’orchestre italien Continuer la lecture de Année Bruckner

Bruckner 7 par Celibidache à Berlin

Cette parution est un véritable événement. Cette rubrique ne suffirait à décrire le poids historique et la qualité musicale d’une telle réalisation. Sergiu Celibidache a été incontestablement un des plus grands chefs-d’orchestre du XXe siècle. Il est né en Roumanie Continuer la lecture de Bruckner 7 par Celibidache à Berlin

Les Muses

Furtwängler aimait le timbre chaleureux de son violon, la distinction de ses phrasés, l’élévation naturelle de son jeu, Edwin Fischer, pour deux Sonates de Brahms inoubliables, avait accordé son piano tonnant à la lyrique effusive de celle qui fut Continuer la lecture de Les Muses