Archives par mot-clé : Claude Debussy

Musiques de l’avenir

Belle idée : confronter les pièces méditatives, de forme libre, d’harmonies divagantes, où Liszt aura projeté son piano vers les temps futurs, nocturnes italiens de la Deuxième Année de pèlerinage ou les pièces de la fin, avec le nouveau monde dont Debussy ouvre grand les portes dans son Premier Livre de Préludes.

Christian Erny, tout juste trentenaire aujourd’hui (il avait vingt-huit ans lors de l’enregistrement), aura réalisé avec son premier album un vrai disque pour les musiciens. Son piano ample, où tout est porté par un corps harmonique surprenant, rappelle celui des grands anciens.

La concentration minérale des sonorités de son Premier Livre m’évoque rien moins que Claudio Arrau, l’absolue rectitude du texte, l’absence de toute tentation illustrative, la densité des phrasés – écoutez à quel point Voiles est dessiné – seraient déjà la signature d’un grand artiste.

Mais il y a une vision supplémentaire, un art de créer le mystère qui fait défaut si souvent aux interprètes de Debussy aujourd’hui. Le temps est suspendu plus d’une fois, même dans les Préludes rapides : Le vent dans la plaine hypnotise, qui ramène un rire des lointains. Et lorsque l’espace de ce clavier s’ouvre, c’est une poésie saturée d’intensité expressive qui emplit Les sons et les parfums dansent dans l’air du soir, immatériels mais pourtant incarnés, où le vaste vaisseau harmonique de La Cathédrale engloutie.

Au point que les Liszt passent malgré eux, malgré leurs parfaites réalisations, derrière ce Premier Livre qui ne cesse de me fasciner : je l’écoutais en regard du Second Livre de Pollini, leur trouvant des connivences. Alors Christian Erny, s’il vous plait, votre Deuxième Livre !

LE DISQUE DU JOUR

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent

Claude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre I, L. 117
Franz Liszt (1811-1886)
Années de pèlerinage, 2è année, S. 161 (extraits : Sposalizio, Il pensieroso)
Unstern! Sinistre, disastro, S. 208
En rêve (Nocturne), S. 207

Christian Erny, piano

Un album du label Solo Musica SM238
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Photo à la une : © DR

Trois beaux oiseaux de Paradis

Maurice Ravel composa durant l’hiver 1914-1915 un premier tombeau pour les Français tués à l’ennemi, un chœur a capella enchâssé au cœur d’un triptyque où trois solistes (soprano, ténor, baryton) content l’annonce de la mort d’un ami tombé au front Continuer la lecture de Trois beaux oiseaux de Paradis

Vingt-quatre études

Arrivé juste à temps pour le centenaire, ce disque des Etudes parachève l’intégrale du piano de Debussy selon Michael Korstick. Grand clavier, touché fauviste aux couleurs pleines d’un automne éclatant, texte éclairé comme sous le ciseau d’un sculpteur, tout ici respire le chef-d’œuvre.

Debussy y radicalise sa grammaire, Michael Korstick, tout en jouant parfois ces Etudes dans leur premier degré d’exercice, fait flamboyer le manifeste moderniste qu’elles incarnent. Le secret de ce double sens paraît lorsque que ce piano est le moins expansif : l’Etude pour les sixtes, sorte de Canope hiératique, vous transporte sous d’autres latitudes, l’obsessif battement de Pour les sonorités opposées n’aura jamais exposé à ce point son complexe labyrinthe où les sonneries d’un clairon fantôme résonnent, échos du carnage. Inutile de le souligner, les Etudes les plus extraverties sont emmenées dans un geste éclatant, et même la redoutable Pour les accords éclate, virtuose, inextinguible toccata.

Logiquement, la solaire Etude retrouvée avec son faune qui rit dans le vent, s’ajoute au cahier, mais aussi le triptyque que forment Masques, D’un cahier d’esquisses et L’isle joyeuse, poèmes de palette brossée d’un pinceau ardent. Coda avec, réunis en diptyque, l’envoûtant Nocturne et aérienne, persiffleuse, la Tarentelle styrienne, histoire de conclure l’intégrale en lumière. Maintenant, il faudrait que Michael Korstick se trouve un comparse pour En blanc et noir et Lindaraja, mais aussi qu’il songe sérieusement à graver tout le piano d’Emmanuel Chabrier et celui de Maurice Ravel.

C’est un tout autre monde que nous révèle Elodie Vignon, entrant si jeune dans les deux cahiers des Etudes. Lignes claires, piano miroir, toucher fuligineux qui suggère, non plus ce Debussy tourné vers l’avenir, mais comme les ultimes repentirs d’un art qui semble revenir en lui-même, fuyant les horreurs du temps. Tout ce qui se concentre de poésie, toute une certaine tristesse d’un monde qui finit émane de ce clavier subtilement composé, pas si loin de celui qu’y déployait Marie Vermeulin ou que pourrait en tirer aujourd’hui Julien Libeer, clair, si clair que même les ombres sont en lumière.

Lecture univoque et pourtant mystérieuse, qui n’achoppe que sur l’impossible Pour les accords, pris prudemment, mais porté à son crescendo avec science. Le disque se complète avec les fantaisies poétiques déduites par Lucien Noullez des douze Etudes, dites avec tendresse et précision par Clara Inglese, paraphrases subtiles, élégantes, comme les musiques qui les ont inspirées.

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy (1862-1918)
L’Œuvre pour piano, Vol. 5

12 Études, L. 136, Livres I & II
Étude retrouvée
Masques, L. 105
D’un cahier d’esquisses, L. 99
L’Isle joyeuse, L. 106
Nocturne, L. 82
Danse, L. 69 « Tarantelle styrienne »

Michael Korstick, piano

Un album du label SWR Music SWR19044CD
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Claude Debussy (1862-1918)
12 Études, L. 136, Livres I & II

Elodie Vignon, piano

Un album du label Cyprès CYP1678
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Photo à la une : Nicholas Roerich, Mohammed the Prophet (1925) – Photo : © DR

Vitrail

La musique de l’œil ! Ottorino Respighi voyait ses instruments en couleurs, son orchestre tel un tableau, impressionniste après les impressionnistes, précisant leurs paysages sans en ôter les atmosphères, simplement le plus génial orchestrateur après Debussy et Rimski-Korsakov, l’égal de Ravel ou de Stravinski.

Les années vingt furent sa décennie dorée, ce que rappelle le somptueux nouvel album que John Neschling et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, auteurs d’une série Respighi décidément à suivre : la prise de son si réaliste de Martin Nagomi, la direction artistique si précise d’Ingo Petry participent à plein de cette réussite : non seulement, on voit les toile de Botticelli, mais on sent les embruns que le peintre florentin a capturés dans son pinceau, quelle Primavera !

Vous l’aurez compris, le disque s’ouvre sur ce que je considère comme le chef-d’œuvre orchestral de Respighi, ce Trittico botticeliano de 1927, petit orchestre dont le nuancier, la mobilité des traits, la profondeur des couleurs et leurs lumières touchent au sublime, si subtilement animés par la battue attentive de John Neschling.

Le disque se referme sur les Vetrate di Chiesa, jeux de lumières infinis qui se rassérènent dans des tableaux sacrés emplis de modes grégoriens, le moins connu des cahiers orchestraux, et pourtant d’une facture particulièrement subtile. Au centre du disque, une autre merveille, Il tramontoAnna Caterina Antonacci raconte enfin l’histoire que narre le poème de Shelley, y faisant jeu égal avec Sena Jurinac et Janet Baker.

Voilà justement de quoi composer le prochain volume – ce sera le sixième – de cette série inspirée : La Sensitiva, Aretusa, Nebbie attendent le mezzo diseur de la chanteuse italienne.

LE DISQUE DU JOUR

Ottorino Respighi (1879-1936)
Trittico boticelliano, P. 151
Il tramonto, P. 101
Vetrate di Chiesa, P. 150

Anna Caterina Antonacci, soprano
Orchestre Philharmonique Royal de Liège
John Neschling, direction

Un album du label BIS 2250
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Photo à la une : © DR

Le jeune faune

Centenaire oblige, quelques tonnes Debussy tomberont bien cette année sur les discothèques, et fatalement beaucoup d’albums de piano. Celui de Matteo Fossi, jeune pianiste italien grandi par les conseils de Maria Tipo et anobli par l’œil attentif de Maurizio Pollini ne doit pas passer inaperçu. Continuer la lecture de Le jeune faune