Archives par mot-clé : Maurice Ravel

Vitrail

La musique de l’œil ! Ottorino Respighi voyait ses instruments en couleurs, son orchestre tel un tableau, impressionniste après les impressionnistes, précisant leurs paysages sans en ôter les atmosphères, simplement le plus génial orchestrateur après Debussy et Rimski-Korsakov, l’égal de Ravel ou de Stravinski.

Les années vingt furent sa décennie dorée, ce que rappelle le somptueux nouvel album que John Neschling et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, auteurs d’une série Respighi décidément à suivre : la prise de son si réaliste de Martin Nagomi, la direction artistique si précise d’Ingo Petry participent à plein de cette réussite : non seulement, on voit les toile de Botticelli, mais on sent les embruns que le peintre florentin a capturés dans son pinceau, quelle Primavera !

Vous l’aurez compris, le disque s’ouvre sur ce que je considère comme le chef-d’œuvre orchestral de Respighi, ce Trittico botticeliano de 1927, petit orchestre dont le nuancier, la mobilité des traits, la profondeur des couleurs et leurs lumières touchent au sublime, si subtilement animés par la battue attentive de John Neschling.

Le disque se referme sur les Vetrate di Chiesa, jeux de lumières infinis qui se rassérènent dans des tableaux sacrés emplis de modes grégoriens, le moins connu des cahiers orchestraux, et pourtant d’une facture particulièrement subtile. Au centre du disque, une autre merveille, Il tramontoAnna Caterina Antonacci raconte enfin l’histoire que narre le poème de Shelley, y faisant jeu égal avec Sena Jurinac et Janet Baker.

Voilà justement de quoi composer le prochain volume – ce sera le sixième – de cette série inspirée : La Sensitiva, Aretusa, Nebbie attendent le mezzo diseur de la chanteuse italienne.

LE DISQUE DU JOUR

Ottorino Respighi (1879-1936)
Trittico boticelliano, P. 151
Il tramonto, P. 101
Vetrate di Chiesa, P. 150

Anna Caterina Antonacci, soprano
Orchestre Philharmonique Royal de Liège
John Neschling, direction

Un album du label BIS 2250
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Photo à la une : © DR

La grâce

Quatre opus, quatre compositeurs, quatre chefs-d’œuvre oui, et si distants, si différents que l’interprète n’aurait d’autre solution que de s’y faire entendre d’abord. Mais non, Ludmila Berlinskaya choisit selon son cœur, ses doigts se fondent dans les discours si singuliers de Beethoven, de Schumann, de Ravel, de Medtner, trouvant pourtant à chaque fois de quoi rendre si émouvant son art subtil et élégant.

Dans l’Opus 109, la confidence prime, en doigts allusifs qui au cantabile feront des trilles de papillon après avoir chanté du Bach dans le Gesangvoll, merveille qui semble venue d’un autre temps pianistique, et qui envole littéralement le prestissimo comme le faisait jadis Schnabel. Si cela n’est pas le portique d’un disque majeur !

Les Kreisleriana, suggestives, alertes, sans grandiloquence, vont au cœur de Schumann, avec cette folie qui n’est jamais hystérique, mais soudain crée comme une angoisse. Noir sans le noir, encore un autre tour de magie qui se retrouve assez exactement dans des Valses nobles et sentimentales jamais brillantes, toujours profondes, véritable danse au bord du volcan dont l’étrange tourbillon alenti rappelle le Ravel des Miroirs, puisse-t-elle les enregistrer un jour car son toucher où les notes se jouent comme des lumières est idéalement ravélien.

Après la Sonate de Beethoven, Ludmila Berlinskaya effeuille la nostalgie de la Sonata Reminiscenza de Medtner, songeuse, comme prise dans la magie d’un conte, et c’est Medtner encore qui ouvre le concert qu’elle donne à la petite salle du Conservatoire de Moscou avec ses amis du New Russian Quartett : le Quintette en ut, qui occupa Medtner au long cours de 1904 à 1948, où il tutoie Brahms avec une pointe de génie n’aura jamais trouvé lecture plus émouvante. C’est le clou de cet autre album avec l’Ouverture sur des thèmes juifs de Prokofiev où la clarinette d’Igor Fedotov met son incroyable sonorité Klezmer. Chostakovitch eût goûté le rapprochement avec son âpre Quinette que tous emmènent dans une seule grande ligne, unifiant les cinq mouvements de cette œuvre terrible. Mais commencez d’abord par l’album solo.

LE DISQUE DU JOUR

Reminiscenza
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 30 en mi majeur, Op. 109
Nikolaï Medtner (1880-1951)
Sonate en la mineur, « Reminiscenza » (extrait des « Mélodies oubliées, Op. 38 »)
Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Maurice Ravel (1875-1937)
Valses nobles et sentimentales, M. 61

Ludmila Berlinskaya, piano
Un album du label Melodiya MELCD1002526
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Quintet + Live
Nikolaï Medtner (1880-1951)
Quintette pour piano et cordes en ut majeur, Op. posth.
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Ouverture sur des thèmes juifs, Op. 34
Alexey Kurbatov
Sextuor
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Quintette pour piano et cordes en sol mineur, Op. 57

Ludmila Berlinskaya, piano
Igor Fedotov, clarinette ( Prokofiev, Kurbatov)
New Russian Quartet
Un album du label Melodiya MELCD1002486
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Le maître des solistes

Radio de Moscou, 8 Octobre 1956, Maria Yudina sculpte le Concerto en ré mineur de Bach d’un ciseau puissant. Le document fut toujours rare, édité un temps sous un improbable label aux Etats-Unis, mais c’est un coup de génie auquel Kurt Sanderling accorde Continuer la lecture de Le maître des solistes

Maintenant Debussy

Auteur d’une des plus parfaites intégrales du piano de Ravel, Steven Osborne est vraiment chez lui chez nous. Déjà en 2005, ses Préludes de Debussy, voluptueux et solaires, marquaient sa différence dans une discographie pléthorique ; plus de dix ans après, le voici qui nous offre un disque dont le sujet est Continuer la lecture de Maintenant Debussy

Correspondances

La belle idée, et qui ne s’est guère courue au disque ; mettre en regard Debussy et Szymanowski avec le prétexte des Masques de chacun. Ceux de Debussy viennent de Fragonard, de Watteau mais aussi d’un certaine Italie, ils ont un ton de fêtes galantes, des ivresses de carnaval ; ceux de Szymanowski sont des portrait voluptueux ou cruels où le compositeur d’Harnasie raffine son écriture de clavier jusqu’à la rendre impossible : on y trouve certaines des choses les plus difficiles à jouer mais aussi à comprendre du répertoire pianistique du XXe siècle, Sviatoslav Richter en était fasciné, y voyait des correspondances avec le Ravel des Miroirs et de Gaspard de la nuit.

Cathy Krier les joue à la pointe sèche éclairant les rythmes complexes, les harmonies astringentes, mais elle parvient aussi à faire paraître des personnages : on voit Shéhérazade (un peu Lorelei quand même, on perçoit en effet le parallèle possible entre Tantris et Alborada (ils sont strictement contemporains), et la Sérénade de Don Juan est emmenée avec aplomb. Quelle pianiste que cette jeune femme qui n’a peur de rien et compose toujours ses disques avec une telle acuité.

Même si j’aurais bien suivi Richter dans son idée de confronter le Polonais avec le Basque, je me laisse emporter par les deux Livres d’Images tels qu’elle les anime, clavier léger ou tout se reflète, éminemment debussyste même dans ces transparences qui font tout entendre sans que le mystère ne se dissolve. Et pour Masques, c’est l’ivresse pure et avec un chic !

Osera-t-elle le face-à-face des Miroirs et des Métopes ?

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy (1862-1918)
Images, Livre I, L. 110
Images, Livre II, L. 111
Masques, L. 105
Karol Szymanowski
(1882-1937)
Masques, Op. 34

Cathy Krier, piano

Un album du label Cavi-Music LC15080
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