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Mission

Entrant dans le studio de la SWR pour y enregistrer Asraël, Karel Ančerl savait qu’il remplissait une mission d’importance. Le chef-d’œuvre de Josef Suk était peu couru par les orchestres allemands, sa syntaxe si singulière, ses couleurs assombries, son discours pathétique surprenaient autant les musiciens que le public.

Mission remplie : la lecture haletante, teintée d’une morbidezza étouffante, pousse l’orchestre à se dépasser, et une fois encore, je m’étonne devant cet art qu’avait Ančerl de faire sonner toutes les formations qu’il aura dirigées quasi comme « sa » Philharmonie Tchèque.

Il fait jouer les cuivres court, sculpte le quatuor en recentrant sa couleur sonore sur les pupitres médians, demande aux bois une sonorité drue, verte. Sa lecture au cordeau des cinq mouvements de ce poème d’Hadès est irrésistible, sèche, abrasive, intense, et ne peut se mesurer qu’à celle de Václav Talich qui lui disposait de la Philharmonie Tchèque.

La parution de cet inédit est donc historique, d’autant qu’Ančerl n’enregistra jamais l’œuvre à Prague, c’est un ajout majeur à sa discographie en plus de faire entendre toute la singularité de l’orchestre de Suk.

La narquoise sérénade néo-classique d’Iša Krejčí, enregistrée en marge des séances d’Asraël, est un ajout bienvenu, l’œuvre est parfaite, brillante, mordante comme du Stravinski et plaide pour la réhabilitation de son auteur.

LE DISQUE DU JOUR

Josef Suk (1874-1935)
Asrael (Symphonie No. 2), Op. 27
Iša Krejčí (1904-1968)
Serenata pour orchestre

Südwestfunk-Orchester Baden-Baden
Karel Ančerl, direction

Un album du label SWR Klassik 19055CD
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Photo à la une : © DR

Sa Patrie

L’écrire est terrible, mais condamné par son cancer, Jiří Bělohlávek aura transcendé son art : ses récents Dvořák, Symphonies, Concertos, Danses slaves (parmi les plus belles depuis Kubelík), Stabat Mater le disaient assez : revenu chez lui à Prague, enfin choisi en 2012 par les musiciens de la Philharmonie tchèque, il atteignait au but de sa vie : inscrire son art dans la filiation de ceux de Václav Talich et de Karel Ančerl, rien moins. On ne pouvait le lui contester depuis dix ans, et ce n’est pas un hasard si, au terme, paraît cette version granitique de Má Vlast patiemment enregistrée Salle Smetana du 12 au 14 mai 2014.

Granitique et narrative, un conte sombre dont les épisodes épiques se rassérènent dans des paysages aux détails ouvragés dès la harpe d’aède qui ouvre Vysehrad, où des personnages paraissent saisis dans toute la violence de leur mouvement – Sarka ! –, tout un théâtre d’images où paraît le récit national.

Mais derrière ces contes formidables emplis de bruits et de fureur, une amertume glaciale s’incarne dans l’identité sonore même de la Philharmonie Tchèque, quelque chose d’irrémédiable, de funèbre qui pleure éperdument dans la clarinette de Sarka. Magnifique désespoir d’un lyrisme terrible, tenu de si près par Jiří Bělohlávek, si surveillé, si intensément sculpté qu’en refermant l’album un souvenir me saisit : cette tension, ce geste épique, ces sonorités quasi mahlériennes, où les avais-je déjà entendues incarnées ainsi dans le chef-d’œuvre de Smetana ?

Chez Václav Smetáček, qui fut toujours l’auteur de ma version favorite. Bělohlávek le rejoint, autre héros de ce panthéon.

LE DISQUE DU JOUR

Bedřich Smetana (1824-1884)
Má Vlast (Ma patrie)

Orchestre Philharmonique Tchèque
Jiří Bělohlávek, direction

Un album du label Decca 4833187
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Photo à la une : © DR