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Esprit français

Dans cet immédiat après-guerre où la gravure directe sur 78 tours régnait encore, Ernest Ansermet céda à la proposition de Decca : graver avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire les œuvres de Claude Debussy et de Maurice Ravel. Le projet fit long feu et se déporta de Paris à Genève, la saga des albums de l’Orchestre de la Suisse Romande et de son « patron » pouvait commencer. Continuer la lecture de Esprit français

Révisons nos classiques

Un couplage imparable assemblé sur le thème des Ballets Russes par Cyrus Meher-Homji pour sa collection Eloquence rappelle à quel point Ernest Ansermet fut versé dans les musiques écrites pour la troupe de Diaghilev. Ironie de la discographie pourtant abondante du chef helvétique, il ne gravera pas Parade, ni l’intégrale de Chout (mais une grande sélection) et l’éditeur laisse de côté ses versions éclairantes du Tricorne, du Chant du rossignol, de Renard, si bien que seul Pulcinella (peu gâté par un trio vocal frustre) et Les Noces (géniales de bout en bout, écoutez le sel qu’y met Hugues Cuénod !) illustrent ici des œuvres qu’il a créées. L’écriture claire et anguleuse de Stravinsky lui va comme un gant, mais pour parfaites que soient ses interprétations, une émotion supplémentaire se dégage du pan français de ce double album.

Daphnis et Chloé, La Valse, le Prélude à l’après-midi d’un faune (avec les incroyables diaprures de la flûte de Pépin), Jeux, ces disques sont célèbres, mais les connait-on vraiment ?

Daphnis et Chloé est une merveille qui égale les gestes de Pierre Monteux, Charles Munch ou André Cluytens, avec en prime une prise de son faramineuse qui sculpte l’espace et que cette réédition rend mieux que les précédentes : on y voit non seulement le ballet, Ansermet battant ses mesures dans le tempo des danseurs, mais on y entend aussi la narration de la pantomime dans la volupté des décors de Bakst ; en tous points la sensation d’être à la création de l’œuvre. Et la poésie trouble de Ravel fut-elle jamais mieux servie, dite avec tant de pudeur et pourtant tant de sensualité ? Quel orchestre, quel art des respirations, quelle magie des atmosphères qui gagne même jusqu’au chœur, magnifiquement mené.

La Valse, filée comme un mauvais songe, est superbe de style (c’est l’ultime enregistrement des quatre que lui consacra Ansermet). Et Debussy ? Le Prélude, torpide, ne s’oublie plus avec ses pleins et ses déliés extatiques, son faune si sexuel : on voit le râle de plaisir de Nijinsky.

Le sommet de l’ensemble est pourtant Jeux, partition réputée injouable pour les orchestres d’alors. Mais Ansermet savait se débrouiller des mesures les plus complexes et dirige le tout dans une fluidité envoûtante, faisant apparaître le trio amoureux des joueurs de tennis, décrivant cette symphonie de nuit éclairée avec non plus simplement de la sensualité mais un érotisme qui s’échevèle dans des crescendo névrotiques. Lecture géniale, unique, que l’on ne connaît pas assez. Ecoutez seulement. Et lisez le très beau texte de François Hudry.

LE DISQUE DU JOUR

Ernest Ansermet and the Ballets Russes

Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune, L. 87
Jeux, L. 133
Maurice Ravel (1875-1937)
Daphnis et Chloé, M. 57
La Valse, M. 72
Igor Stravinski (1882-1971)
Pulcinella
Les Noces

Marilyn Tyler, soprano (Pulcinella)
Basia Retchitzka, soprano
Lucienne Devallier, contralto
Carlo Franzini, ténor (Pulcinella)
Hugues Cuénod, ténor
Boris Carmeli, basse (Pulcinella)
Heinz Rehfuss, baryton-basse
Chœur Motet de Genève
Chœur et Orchestre de la Suisse Romande
Ernest Ansermet, direction

Un album de 2 CD du label Decca 482 4989 (Collection « Eloquence Australia »)
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Photo à la une : © Decca

Valse mortelle

Il y a un tropisme français chez Eduard van Beinum, ses Debussy, ses Berlioz, ses Ravel dévoilent une poétique orchestrale qui aura modifié la nature sonore du Concertgebouw telle qu’il l’avait héritée de Willem Mengelberg.

Ce mélange détonant d’élégance et de cruauté éclate dans une Valse vampirique, d’une suavité vénéneuse, étrange course à l’abîme dont les envoûtements fascinent : cet orchestre si mobile, qui mord à la vitesse d’un aspic, sait être d’une seconde à l’autre sec puis voluptueux ; c’est celui de Ravel-même, ce qu’illustre au même degré de perfection une Rapsodie espagnole moite, inquiétante, pleine de rumeurs et d’ombres dont les gitaneries n’auront jamais été aussi cante jondo. Mais le Boléro lui-même, somptueusement étouffant, participe de la même saturation de l’espace.

Ce triplé Ravel est faramineux, après lui (ou avant dans l’ordre du disque), les Franck distillent une toute autre lumière. Psyché rêvé, très tendrement composé dans les soieries d’un orchestre décidément faramineux, est cent coudées au-dessus de ce que tous les orchestre français pouvaient alors y faire et les Variations symphoniques, où le jeune Géza Anda dissipe le brouillard en phrasant tout, sont un modèle de style prenant le contrepied de l’estampe incarnée par Walter Gieseking et Landon Ronald, autre version majeure du 78 tours. Mais c’est à ce Ravel parfaitement délétère que vous irez d’abord.

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)
Rapsodie espagnole, M. 54
La Valse, M. 72
Boléro, M. 81
César Franck (1822-1890)
Psyché, FWV 47
Variations symphoniques pour piano et orchestre, FWV 46

Géza Anda, piano
Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam
Eduard van Beinum, direction

Un album du label Decca 4825491 (Collection « Eloquence Australia »)
Acheter l’album sur le site de la collection Eloquence Australia, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © DR