Il y aurait comme une contradiction dans le programme, du moins sur le papier. Que viennent faire ici les Valses Op. 39 de Johannes Brahms ?
Il suffit d’entendre l’album pour comprendre. La porte sur l’autre monde, le monde moderne, qu’ouvre la Sonate de Leoš Janáček qui fascinait tant Radu Lupu, est l’autre issue de cette maison où dansait sous le péristyle les Valses de Brahms que Claire Désert ombre d’une nostalgie, celle du monde d’hier qui sait déjà celui de demain, manière de boucler la boucle temporelle à l’envers, comme une apostille à ce si beau disque.
La tension de la Sonate de Janáček est menée a poco, avec un art souverain des gradations, des suspensions, des interrogations, quelque chose de schubertien dans ces paysages de brouillard et de glace, tout un imaginaire qui me donne envie de l’entendre parcourir le Sentier, se perdre dans les Brumes, mais non, elle aura choisi les si difficiles Nachtstücke, en trouvant l’étrange poésie où paraît déjà l’ultime Schumann, ce dont elle a la prescience dans son jeu empli de fantômes.
Merveille triste qui prépare aux directions perdues, à la nuit sans lune de l’Opus 11 où Schönberg s’approche de la raréfaction, et des éclipses que Webern poursuivait sous ses yeux, cycle génial qui échappe souvent à ceux qui n’en voient pas le sous-texte : Claire Désert nous le fait entendre. Brahms peut venir, mais il ne nous consolera pas ; le pari de cet opus singulier, l’un des achèvements de l’art de la pianiste, est remporté.
LE DISQUE DU JOUR
Leoš Janáček (1854-1928)
1.X.1905 – Sonate pour piano en mi bémol mineur,
JW 8/19
Robert Schumann
(1810-1856)
4 Nachtstücke, Op. 23
Arnold Schönberg
(1874-1951)
3 Klavierstücke, Op. 11
Johannes Brahms
(1833-1897)
16 Valses, Op. 39 (version pour piano seul)
Claire Désert, piano
Un album du label Mirare MIR758
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Photo à la une : la pianiste Claire Désert – Photo : © Jean-Baptiste Millot